Le jeu
Dans l’Angleterre du XVIII° siècle, les joueurs vont développer l’industrie locale qui tourne autour des filatures de coton. Ports, mine de charbon ou de fer, chantiers navals, les joueurs vont devoir construire leurs industries au mieux, et constamment s’adapter à la concurrence. Saurez-vous exporter votre coton avant que la demande ne chute ou préférerez-vous construire les bonnes vieilles mines de charbon, garantie de bons revenus ?
Comment ça marche
Le jeu est divisé en 2 grandes phases : l’ère du canal et l’ère du rail. Chaque ère est divisée en 8 à 10 tours en fonction du nombre de joueurs. A chaque tour, chaque joueur peut réaliser 2 actions parmi 5 en jouant 2 cartes. Pour 4 de ces actions, la nature des cartes n’a pas d’importance. Il est donc possible, avec n’importe quelle carte de :
Faire un emprunt (cela diminue le revenu)
Construire une liaison (un canal ou un rail en fonction de l’ère). Cela coûte de l’argent et du charbon pour le rail.
Exporter le coton de ses filatures (cela rapporte des revenus et des points de victoire en fin d’ère). Il faut soit que la demande de coton sur le marché extérieur soit suffisante, soit que les filatures soient connectées à des ports.
Evoluer technologiquement : cela coûte du fer et permet d’accéder à des industries plus performantes.
La dernière action nécessite de jouer une carte qui convient. Il existe deux types de cartes : les localisations et les industries.
La dernière action consiste donc à construire une industrie dans une
ville en jouant soit la carte de la ville correspondante (avec quelques restrictions sur l’approvisionnement des marchandises nécessaires), soit en jouant une carte de l’industrie correspondante (avec les mêmes restrictions plus des restrictions liées au réseau du joueur qui construit). Le but du jeu est d’activer ces industries. Les mines (de charbon et de fer) s’activent lorsqu’elles sont épuisées, les filatures lorsque leur coton est exporté, les ports lorsqu’ils sont utilisés pour l’exportation du coton et les chantiers naval sont activés automatiquement. L’activation d’un bâtiment rapporte du revenu immédiatement et des points de victoire en fin d’ère.
A la fin de l’ère du canal, les industries activées et les canaux rapportent des points, puis les industries de niveau 1 ainsi que les canaux disparaissent. A la fin de la phase du rail, les industries activées (qui ont pu être posées, voire activées en phase de canal) rapportent des points, ainsi que les rails. Le joueur qui a cumulé le plus de points remportent la partie.
Critique
Comme chaque année, Martin Wallace a présenté son Brass lors du salon d’Essen 2007. Rapidement, le jeu a eu de bons échos : après être plutôt passé par le jeu "de conquête", Wallace revenait aux jeux de gestion. Ayant signé quelques années plus tôt des chefs d’œuvre comme Age of Steam, Liberté ou Princes de la Renaissance, ce Brass sonnait comme une bonne nouvelle. Clairement, dès la première partie, on sent tout le potentiel que ce jeu peut offrir et les possibilités semblent importantes. Cependant, le plateau fixe semble être un obstacle à une durée de vie importante. Mais qu’en est-il vraiment ?
Le jeu offre un bon renouvellement lors des premières parties : en effet, les stratégies sont variées et loin d’être évidentes. Même si deux axes principaux se dessinent (minier et coton), il existe plusieurs manières de les mener à bien et surtout, elles se mêlent assez étroitement au fur et à mesure que la partie avance. De plus, les options offertes à chaque joueur dépendent des cartes en main ce qui donne une dimension opportuniste non négligeable même si, comme toujours, il est dangereux de s’éloigner d’une certaine ligne stratégique. Mais, entre les axes de communication, les cartes, les options à prendre en fonction des autres joueurs, Brass offre un assez bon renouvellement et demande plusieurs parties pour être en partie maitrisé.
Comme tout bon jeu de Wallace, Brass contient une part d’aléatoire non négligeable, aussi bien sur le tirage de cartes que sur la demande de coton. Et comme tout jeu de Wallace, ce hasard qui influe sur vos choix, est parfois énervant mais reste globalement maitrisable. Pour Brass, le hasard sur le coton peut être assez énervant et donne parfois lieu à de grosses batailles pour l’export. Il peut aussi parfois presque désigner un vainqueur, mais il faut vraiment que les deux joueurs aient été très proches dans les autres compartiments du jeu, pourtant très nombreux. Le hasard sur les cartes est celui qui permet un assez fort renouvellement. En effet, une partie de la stratégie d’un joueur sera dictée par ses cartes, de même que la plupart de ces options tactiques. Les joueurs doivent constamment s’adapter à leur tirage composé de 8 cartes, ce qui correspond à 4 tours de jeu. Cela reste suffisant pour ne pas être pris au dépourvu par un tirage un peu moins bon.
L’autre force de Brass est la différence entre la configuration 3 joueurs et la 4 joueurs. Il y a 4 tours supplémentaires à 3 joueurs, ce qui donne un tempo différent au jeu, notamment par rapport aux évolutions technologiques qui ont plus de temps pour être rentabilisées, ce qui donne des options stratégiques assez différentes. Je n’ai quasiment joué qu’à 4 joueurs, ce qui me donne forcément une vision différente du jeu par rapport à des joueurs qui n’auraient joué que majoritairement à 3 joueurs.
L’une des idées assez innovantes de Brass, c’est celle des deux ères : canal et rail. A la fin de la phase de canal, beaucoup de choses disparaissent, mais certaines industries restent, offrant un certain nombre d’options supplémentaires au début de l’ère du rail. Ces industries ont toujours leur propriété (charbon disponible à l’import par les ports par exemple) générale et donnent des bases de départ pour le réseau ferré du joueur concerné. Tout cela oblige les joueurs à laisser un maximum d’industrie de niveau 2 et plus sur le plateau à la fin de la phase de rail (surtout que ces industries rapporteront 2 fois des points), mais les évolutions technologiques étant assez longues à faire et ne rapportant rien par elles mêmes, les joueurs sont obligés d’utiliser les industries de niveau 1 pour se lancer. Tout ceci donne une tension supplémentaire, les évolutions technologiques précoces permettant aux joueurs d’avoir de meilleures industries en place, mais donnent des indications non négligeables sur votre stratégie aux autres joueurs qui peuvent alors jouer en conséquence. Que de dilemmes donc, donné par cette petite idée, apparemment anodine et pourtant géniale.
De plus, l’interaction entre les bâtiments est constante. Pour construire des rails, il faut du charbon qui peut provenir de vos mines ou des mines adverses, pour faire des évolutions technologiques il faut du fer qui peut venir de vos sidérurgies ou des sidérurgies adverses, pour exporter du coton il faut des ports, à vous ou adverses,... Tout ceci oblige à constamment tenir compte du jeu adverse, pour ne pas laisser trop d’opportunités ou pour pouvoir profiter des autres. Cette interaction latente, en plus de l’interaction directe pour la prise des emplacements stratégiques fait de Brass un jeu plus interactif que la moyenne des jeux de gestion. Là encore, Wallace a parfaitement réussi son jeu.
Grâce à un tirage de cartes plutôt maitrisé, de nombreuses options de positionnement et des choix draconiens, Brass réussi le tour de force d’être varié malgré un plateau très figé en apparence. Entre les parties où les pénuries de charbon seront nombreuses, celles où ce sera le fer qui viendra à manquer, celles ou ce sera les deux ressources qui seront rares, celles où les pénuries seront rares et de courtes durées et l’obligation de s’adapter constamment aux jeux adverses, Brass offre un très gros renouvellement et des parties variées. Après plus de 20 parties, je continue à découvrir certains aspects du jeu et chaque partie me semble différente de la précédente. Brass est donc une grande réussite, très agréable à jouer même s’il s’adresse à un public de joueurs avertis.
Conseils tactiques et stratégiques
- La plupart des conseils donnés ici seront surtout valables à 4 joueurs, le jeu changeant sensiblement à 3 joueurs.
La victoire se jouera souvent aux alentours de 140 points (plutôt 120 lors des premières parties). A 3 joueurs, on sera plutôt aux alentours des 180, avec la possibilité des dépasser les 200.
Tenez toujours compte de votre main avant d’établir vos plans. Vous avez toujours 8 cartes en main, vous pouvez connaitre vos orientations sur les 4 prochains tours. Tenez-en toujours compte.
A 4 tours de la fin de chaque ère, vous connaitrez toutes les cartes dont vous disposerez pour finir cette ère et vous n’en récupérerez aucune. Vous devez donc constamment prendre garde aux cartes que vous jouez pour ne pas vous retrouvez bloqué avec vos 2 dernières cartes.
La première ère rapporte beaucoup moins de points que la seconde (typiquement 35-95 points respectivement pour chaque ère). Cependant, il ne faut pas négliger cette première ère : les points d’avance pris peuvent parfois suffire à gagner.
L’un des moments les plus cruciaux du jeu est le changement d’ère : il faut réussir à s’implanter de manière à pouvoir repartir de manière efficace sans sacrifier sa première phase.
Les bâtiments qui rapportent le plus de points sont les derniers des piles de chaque type de bâtiments. Il est donc préférable d’épuiser des piles pour maximiser ses points. Cela nécessite souvent une spécialisation sur quelques piles plutôt que d’essayer de tout faire.
Comment souvent, l’argent est le nerf de la guerre, il faut savoir en récupérer de manière régulières. Les revenus sont évidemment la meilleure façon de le faire, mais il est souvent nécessaire de faire des emprunts. Il faut alors essayer de les faire dans un bon "timing" (il est, entre autre, préférable de faire des emprunts quand son revenu est faible, ça coute "moins de cases").
Un coup régulièrement utilisé consiste à faire 2 emprunts sur le dernier tour de l’ère des canaux. Cela assure la première place (sauf si un joueur ayant déjà joué a déjà fait ce coup) et permet de récupérer beaucoup de liquidités pour aborder la deuxième phase en tête et prendre les emplacements stratégiques.
Si les canaux rapportent assez peu de points, il n’en est pas de même pour les rails : il faudra souvent compter sur eux pour faire un bon score.
N’oubliez pas qu’il n’est plus possible d’emprunter à partir de 4 tours de la fin. Il faut donc, lors du 4° tour de l’ère du rail, s’assurer qu’on aura suffisamment de cash pour finir la partie (ne pas oublier de compter les revenus). Sinon, il faudra souvent prendre un emprunt même s’il y avait mieux à faire. Manquer d’argent à la fin peut coûter beaucoup de points.
N’oubliez qu’il est toujours possible d’écraser l’un de ses bâtiments par un bâtiments de niveau supérieur.
N’oubliez pas qu’il est toujours possible d’écraser une mine adverse en cas de pénurie sur la ressource correspondante.
N’oubliez pas que 2 cartes forment un joker pour placer une industrie où vous le souhaitez : ça vous coûte une action mais cela peut se révéler primordial.
Public
Assez exigeant, avec des règles peu intuitives et une durée dépassant les deux heures, Brass s’adresse clairement à un public de joueurs avertis, aimant se prendre un peu la tête. Comme le thème n’est pas super attrayant, le jeu a vraiment peu de chances de séduire un public de néophytes (mais je connais quelqu’un qui a été initié aux jeux "modernes" avec Brass, sûrement l’exception qui confirme la règle).
Conclusion
Avec Brass, Martin Wallace renoue avec le jeu de gestion d’envergure. Malgré son plateau figé, l’auteur anglais a su créer des mécanismes qui permettent un très fort renouvellement. Ce jeu est d’une très grande richesse, avec un thème peut être pas très attirant au premier abord, mais très bien exploité et plutôt original. Même après 20 parties, on continue à découvrir certaines subtilités et comme le jeu est très interactif et très exigeant, chaque partie est un nouveau défi. A ranger aux cotés d’Age of Steam, même si je trouve Brass légèrement inférieur.