Le jeu
USA, années 60. La mode des fast foods grandit. A la tête de votre chaîne de restaurants, vous essayez d’attirer les clients avec vos produits et en faisant des campagnes de pub efficaces. Mais attention, car vos concurrents pourraient bien réussir à vous piquer le marché. Saurez-vous tirer votre épingle du jeu pour devenir le roi du fast-food ?
Comment ça marche
A Food Chain Magnate il y a un plateau dont la taille dépend du nombre de joueurs et qui indique la disposition des rues, des maisons (les futurs clients) et des fournisseurs de boisson. Le jeu repose sur un système de cartes qui représente les employés. Au début de la partie, il n’y a qu’un employé : vous. Vous savez recruter du personnel et faire travailler 3 personnes sous vos ordres.
Un tour de jeu est divisé en 9 phases :
Préparation de la journée de travail où chaque joueur, simultanément, choisi quels employés il fait travailler. Seuls ces travailleurs permettront de faire des actions durant ce tour. Il existe 2 types de salariés : ceux qui donnent des pouvoirs et les managers qui permettent de faire travailler plus de monde. Les managers ne peuvent travailler que sous vos ordres direct, les autres travaillent sous vos ordres ou sous ceux d’un manager.
Définition de l’ordre du tour
Les employés travaillent : vos recruteurs (vous y compris) embauchent, puis vos formateurs forment (rendant les employés plus efficaces), vos publicitaires lancent les campagnes de pub qui donneront envie aux clients de venir chez vous, vos cuisiniers cuisinent et vos commis récupèrent les boissons, vos promoteurs font construire de nouvelles maisons pour attirer de nouveaux clients potentiels et vos responsables ouvrent de nouveaux restaurants. Pour chacune de ces actions, il faut évidemment avoir l’employé correspondant dans votre organigramme préparé lors de la première phase.
Les clients arrivent : si des maisons ont été impacté par une campagne de pub lors du tour précédent et si un restaurant peut leur fournir ce dont ils ont envie, ils se déplacent. Évidemment, il y a concurrence, les clients se rendent dans le resto le plus attractif. L’attractivité est la somme entre le prix de vente (tout le monde a le même prix de base, mais les commerciaux vous permettent de modifier ce prix) et la distance entre la maison et le resto. C’est le resto avec la plus faible combinaison (prix+distance) qui attire le client. En cas d’égalité, ce sont les serveuses qui départagent, s’il y a encore égalité, c’est l’ordre du tour.
C’est le moment de payer (ou de virer) les employés
Les campagnes de pub encore en cours voit leurs effets appliqués, ce qui donne envie aux clients de se déplacer vers les restaurants lors du prochain tour.
Maintenance de fin tour (principalement, on jette le surstock).
La partie se poursuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’argent dans la banque. Le plus riche l’emporte.
Critique
Pour les aficionados comme moi, la sortie d’un nouveau Splotter est toujours un événement. Et même s’ils n’ont pas réussi à ressortir des jeux de l’envergure de Roads & Boats ou Antiquity, leurs jeux apportent toujours de belles choses ludiques. La boîte de Food Chain Magnate est plutôt petite (leur format Indonesia) mais bien remplie. Si les tuiles de plateau sont assez ternes (mais très lisibles et fonctionnelles), les cartes Employé, dans leur style vintage noir et blanc, sont plutôt réussies. Les pions en bois, style meeple, pour la nourriture sont très réussis aussi. Le reste du matériel est composé de tuile en carton plutôt banales. Pour les fans, le nom des chaînes de Fast Food, que vous allez jouer, sont toutes des références à d’autres de leurs jeux. Je vous laisse chercher.
La mise en place est assez fastidieuse et, si le plateau prend relativement peu de place, les cartes envahissent la table. Il est préférable de les ranger comme indiqué sur l’aide de jeu pour faciliter la lecture. Mais ça prend énormément de place, il y a 32 paquets de cartes (les 32 employés différents), ainsi que les Milestones, au nombre de 18. 50 cartes en tout. Autant dire que les premières parties ne vont pas être faciles.
Vous devez vous demander ce que sont ces Milestones dont je n’ai pas encore parlé. Il s’agit d’objectif qui donne des bonus aux premiers joueurs qui les atteint. Par exemple, le premier qui jouera un Errand boy gagnera plus de boisson à chaque fois qu’il en récupérera, le premier qui jettera de la nourriture en fin de tour gagnera un frigo qui lui permettra de garder jusqu’à 10 ressources à la fin de chaque tour,... Il y en a donc 18 comme ça. Elle représente le cœur stratégique du jeu. En effet, ces bonus vont grandement orienter votre développement. Certaines se récupèrent très tôt dans la partie, d’autres plus tard. Évidemment, vous ne pourrez pas toutes les récupérer. Typiquement, celles de début de partie, qui se récupèrent lors des 3 premiers tours, vous ne les aurez pas toutes. Il faudra faire des choix, en fonction de ce que vous voudrez faire dans la partie. Entre le rush, pour gagner très vite de l’argent et essayer de mettre fin à la partie rapidement, qui s’oppose à l’organigramme, où vous allez mettre lentement sur pied une machine de guerre capable de faire tout ce que vous voulez mais qui traîne un peu à démarrer, les Milestones nécessaires ne sont pas les mêmes et vous devrez faire les bons choix.
Lors des premières parties, si vous trouvez le jeu trop touffu, vous pouvez essayer de jouer sans ces Milestones pour vous concentrer sur le cœur mécanique du jeu : la publicité. En effet, le gros du jeu repose dessus. Pour faire simple, vos publicitaires vont lancer des campagnes de pub, par exemple sur le burger. Au tour suivant, en fonction de la puissance de votre campagne (qui dépendra du niveau de formation de votre publicitaire), un certain nombre de maisons seront impactées. Elles auront alors envie de manger du burger. Mais pas forcément votre burger ! Et c’est là que le jeu devient vicelard et violemment interactif. Car, vos concurrents pourront décider de profiter de votre campagne de pub, en produisant le produit correspondant et en le vendant moins cher pour vous piquer le marché. Et ça peut faire très mal ! Car si vous étiez un peu limite au niveau de la trésorerie, le manque à gagner peut vous obliger à licencier et donc à avoir quelques soucis pour reproduire ensuite. Vous pouvez également vous lancer dans une guerre des prix qui peut, elle aussi, avoir des conséquences désastreuses, avec, parfois, des rentrées d’argent inférieure aux salaires. Il faut alors rapidement trouver une solution pour renflouer les caisses. Car le but du jeu reste de finir le plus riche.
Le jeu demande une grosse capacité d’adaptation et de lecture des contraintes. En début de partie, le placement de votre premier restaurant est primordial, entre zones isolées pour commencer fort sans concurrent mais avec des problèmes pour vous étendre, ou en centre-ville avec beaucoup de concurrence mais de nombreux clients potentiels. Par la suite, vous devrez constamment surveiller vos adversaires, pour voir comment les gêner s’ils s’enrichissent trop facilement ou anticiper une potentielle guerre de prix qui pourraient vous coûter cher. Mais, cette guerre des prix n’est en effet pas la seule arme dont vous disposez : les campagnes de pub croisées sont aussi assez efficaces, du moins à court terme. Le principe est simple : si un adversaire profite d’une campagne de pub sur le burger, l’un des moyens de le ralentir est de donner envie aux clients impactés de vouloir une bière (ou tout autre produit que votre adversaire ne possède pas). Les clients ne se rendront alors que dans un restaurant servant les deux produits. Un bon moyen de bloquer la concurrence le temps qu’ils se mettent à produire cette ressource.
Comme souvent chez Splotter, de nombreux paramètres sont évacués pour pouvoir se concentrer sur l’essentiel. En premier lieu, les salaires : ils sont de 0 pour les employés "de base" (ceux que l’ont peut recruter) et de 5 pour tous les autres (ceux que l’ont obtient par la formation). Pas de calcul compliqué avec des salaires différenciés. De même, il n’y a rien à payer pour la production. Vous n’achetez pas de matière première. On est bien plus sur un jeu de concurrence économique que sur un jeu de gestion pure. Ils ont donc évacué la question du coût d’achat, qui alourdirait inutilement le jeu. C’est une grand force de cet éditeur de savoir coller au thème tout en éludant certaines contraintes, certes thématiques, mais qui alourdiraient inutilement le jeu.
Food Chain Magnate est donc un jeu assez atypique qui, comme souvent chez Splotter, ne pardonnent pas trop l’erreur. A ma première partie, j’ai fini avec la moitié du score de l’avant-dernier, et j’ai vu des joueurs finir avec des scores encore plus bas. Il faut donc être vigilant et être prêt à accepter des parties difficiles. Le jeu propose un vrai challenge, basé sur une mécanique globale plutôt originale. Les mécanismes se prennent assez bien en main quand on est habitué aux jeux de ce calibre. La difficulté provient des Milestones et de la très forte interaction.
Le thème est plutôt bien respecté et le design vintage des cartes apportent un petit plus au jeu (même si ça ne plaira pas à tout le monde). Le jeu est annoncé pour 2 à 5 joueurs et fonctionne plutôt bien dans toutes ces configurations. Cependant, je déconseille fortement de le découvrir dans une partie à 5 joueurs : ça peut être très violent et long. J’étais sceptique sur la configuration à 2 joueurs, mais les rares parties que j’ai faite ont été très intéressantes, tendues et plutôt rapides (environ 1h/1h15 entre connaisseurs). Le jeu offre donc une réelle amplitude sur le nombre de joueurs.
Conseils tactiques et stratégiques
Soignez votre placement initial, le premier conseil étant d’être à 0 de distance d’au moins une maison.
Les ouvertures possibles pour la première embauche sont :
- Recruiting girl : le but est de pouvoir embaucher du monde rapidement. Au second tour, vous embaucherez une 2° recruiting pour gagner la Milestone des 3 recrutements dans le même tour, et un autre employé en fonction des Milestones encore présentes.
- Errand boy : le but est évidemment de récupérer la Milestones de l’errand boy sur les boissons et celle du frigo puisque vous serez le premier à produire.
- Trainer : une Milestone très puissante, puisqu’elle permet d’économiser 3 salaires à chaque tour. On part ici sur une stratégie à long terme.
- Marketing trainee : l’ouverture la plus difficile à négocier car la Milestone associée rend vos campagnes de pub éternelle, même cette première campagne. Votre jeu est donc beaucoup plus lisible de la part des adversaires. En compensation, vous récupérerez le bonus de 5$ sur les ventes du premier produit pour lequel vous ferez de la pub. Ca donne un départ très rapide, qui peut permettre de choper la Milestone CFO, sûrement la plus forte du jeu. Mais attention, vous devrez avoir mis en place de quoi rebondir, sinon, les autres joueurs vous rattraperont. J’ai souvent vu des Milestone CFO (+50% sur tous les gains du tour) ne pas rapporter grand chose, car, au moment où le joueur la gagne, son organigramme est trop faible pour concurrencer les adversaires. Choix assez dur à jouer donc.
Les ouvertures à éviter même si elles paraissent bien :
- Waitress : même si la Milestone peut paraitre sympa, elle est beaucoup trop faible et donne un démarrage beaucoup trop lent. C’est souvent une Milestone pour les joueurs qui débutent avec la Recruiting girl qui peut commencer à faire rentrer de l’argent sans produire.
- Kitchen trainee : la Milestone associée ne sert à rien puisque vous ne pourrez pas payer l’employé reçu (Pizza cook ou Burger cook). Vous aurez le frigo, mais autant prendre l’Errand boy pour ça. Cette Milestone est souvent prise par le joueur qui ouvre au Marketing trainee.
Pour l’ordre du tour, il est presque toujours préférable d’être dernier. Cela vous permet de savoir sur quoi les campagnes de pub de vos adversaires porteront et de lancer vos campagnes sans que les autres ne puissent s’y adapter. Le seul moment où il peut-être intéressant d’être devant c’est soit pour ouvrir un restaurant, soit pour gagner les égalités si vous êtes en concurrence avec quelqu’un qui a le même nombre de Waitress que vous. Le dernier cas, plus subtil, c’est si vous voulez pouvoir choisir votre place au tour d’après (puisqu’en cas d’égalité sur le nombre de slots libres, vous choisirez votre place en premier.
Au début de la partie, si vous êtes premier joueur, vous pouvez essayer de prendre la Recruiting girl. Au tour suivant, vous choisissez d’être dernier (c’est vous qui choisirez votre place puisque tout le monde aura le même nombre de slots libres (2)) et vous pouvez faire vos 2 choix d’employés en fonction de ce que font les autres joueurs.
Choisissez bien votre carte de Réserve en fonction de votre stratégie.
Si vous partez sur de la production rapide, vous préférez une partie rapide, optez pour la réserve à 100$. Au contraire, si vous préférez commencer avec de la formation, vous êtes sur du long terme, choisissez plutôt la 300.
Dès que des joueurs ont embauchés des Pricing manager, demander à voir qui à quelles cartes au début de chaque tour pour savoir ce que vos adversaires peuvent faire comme modification de prix.
N’oubliez pas qu’un publicitaire joué au début d’un tour verra sa campagne de pub se mettre en action à la fin de ce tour et les produits correspondants ne seront vendables qu’à partir du tour suivant. Inutile donc de produire le tour où vous lancez la campagne.
L’erreur classique est de former du personnel (et donc de recruter un Trainer) alors que l’on n’a pas d’argent. Ça ne sert à rien, vous perdriez les personnels formés (sauf si vous êtes le premier à le faire, mais cette Milestone part en général au premier tour). Donc, si vous n’avez pas été le premier à former, vos devez d’abord vendre, puis former. C’est l’erreur la plus courante lors des première parties.
Souvent, lorsque l’on débute, on se demande à quoi sert la Luxury manager qui augmente les prix de 10$, alors que les guerres de prix font souvent rage. Elle sert dans 2 cas : vous avez le monopole sur une ressource et vous en profitez. Ça ne marche en général qu’une seule fois, mais c’est toujours ça de pris. L’autre méthode consiste à inonder le marché : vous faites de la pub à outrance sur un produit (ça marche vraiment bien si vous avez réussi à choper la Milestone du Brand manager) de façon à ce que presque tout le monde en veuille. Les concurrents vont vendre, mais, au bout d’un moment, il n’auront plus de stocks, et là, à vous le magot. Attention, ça peut être une stratégie au long cours : si vous arrivez à choper une maison à jardin avec 5 demandes sur elles, c’est le jackpot : 5 produits à 20$ pièce ×2 à cause du jardin. Ca fait 200$, si vous avez le CFO, ça peut suffire à gagner en un tour. Si une partie dure, c’est le plus grand danger qui soit.
N’oubliez pas que les managers pour les restaurants (les rouges) ouvrent les drive-in sur tous vos restaurants, mais uniquement lorsqu’ils sont dans votre organigramme.
Si, à un moment, vous ne savez pas quoi embaucher, prenez un Trainee Manager, il servira toujours.
Public
Parties longues, jeu exigeant et punitif, Food Chain Magnate s’adresse clairement à un public d’initiés aimant faire chauffer ses neurones et découvrir de nouvelles mécaniques. Et même chez ces joueurs-là, sa violente interaction et son côté punitif ne feront pas l’unanimité.
Conclusion
J’ai longtemps pensé que Splotter me fournirait des jeux de qualité mais qu’il ne pourrait pas revenir au niveau de ce qu’ils avaient fait avec Antiquity. Je dois reconnaître que je me trompais. Je ne saurais dire lequel des deux je préfère, mais clairement Food Chain Magnate est au niveau des meilleurs Splotter. Et vu qu’il s’agit de leur plus gros succès commercial, je ne dois pas être le seul à le penser. Évidemment, le jeu est trop exigeant pour plaire à tous, mais, si vous avez déjà goûté aux jeux des géniaux Doumen et Wiersinga et que vous avez apprécié, Food Chain Magnate a peu de chance de vous déplaire. Et, en plus, le matériel est plutôt à la hauteur, même si le plateau est loupé. Mécanisme efficace, stratégie variée, interaction forte, ce jeu fait indéniablement partie de mon Top 10, toutes catégories confondues. Essayez-le quand même avant, mais si vous me croisez, je me ferai un plaisir de vous initier.