Présentation

Cet article n’est pas une critique du jeu Yellow & Yangtze comme j’ai l’habitude de le faire sur ce site. Il s’agit plus d’un comparatif sur les changements de règles avec quelques commentaires. Je n’ai que quelques parties de Yellow & Yangtze à mon actif, mais je trouve intéressant de revenir sur les différences entre les deux jeux.

Yellow & Yangtze est donc une refonte du jeu Tigre & Euphrate par son auteur, Reiner Knizia, sorti en VF chez Matagot.

Le premier changement qui saute aux yeux, ce sont les cases hexagonales. Fini donc les cases carrées. En terme de conflits, cela change évidemment pas mal la donne et oblige à être encore plus attentif.

Au niveau couleur, on garde les mêmes (rouge, noir, vert et bleu). Mais les trésors disparaissent. Ces derniers représentaient des points "joker" qui étaient répartis sur l’ensemble du plateau et ils conditionnaient la fin de partie. Ils ont été retirés pour être remplacés par une 5° couleur, le jaune. Il s’agit d’une couleur "joker" qui fonctionne comme les trésors de Tigre & Euphrate pour le décompte final, mais qui possède des tuiles et un chef de sa couleur. Ces points joker sont donc plus faciles à récupérer que dans Tigre & Euphrate, mais donneront aussi lieu à une lutte plus féroce.

Au niveau des couleurs, les chefs ne sont plus soutenus par les "rouges" mais par les "noirs". C’est en fait assez cohérent et un peu plus facile à comprendre : le chef noir reste le chef suprême (il continue à récupérer les points par défaut), et ce sont les tuiles associées à sa couleur qui soutiennent l’ensemble des chefs. Les conflits internes vont donc se faire grâce à cette couleur. Au-delà du fait que le pavage hexagonal fait qu’il est possible d’avoir un soutien de base plus important (pouvant aller jusqu’à 6 tuiles, contre 4 auparavant), un nouvel élément entre en jeu : si votre chef noir n’est pas en jeu, il vous donne un bonus pour les conflits internes (appelés "Révolte" dans Yellow & Yangtze). Avoir son chef noir sur le plateau n’est donc plus autant un systématisme que dans Tigre & Euphrate. L’autre changement est dans la résolution du conflit : le point de victoire gagné n’est plus celui des tuiles (donc noir dans la nouvelle version), mais celui de la couleur des chefs en conflit. Là encore, c’est plus cohérent, et ça permet d’attaquer aussi pour renforcer ses couleurs faibles.

Les temples subissent aussi un gros changement dans le jeu. En effet, plus possible de faire un carré de tuiles sur un pavage hexagonal. On construit maintenant une Pagode en plaçant 3 tuiles de la même couleur en "triangle". Contrairement à Tigre & Euphrate , la Pagode est monocolore. Elle ne rapporte donc des points que dans une seule couleur. Chaque Pagode est en 2 exemplaires. Mais si vous deviez en construire une troisième, vous en volez une déjà présente sur le plateau (elle se déplace). C’est un peu moins thématique, mais ça donne lieu à de violents affrontements et une pagode est assez difficile à garder. Mais il va aussi y avoir une lutte constante sur le plateau pour empêcher la formation de ses triangles de couleur. Il faut constamment rester attentif à ce qui se passe sur le plateau, car la pose d’une tuiles à l’autre bout du plateau, peut quand même vous faire perdre votre Pagode.

Surtout qu’il y a un autre moyen de perdre une pagode : si un joueur défausse 2 tuiles vertes (ou une seule si son chef vert n’est pas en jeu), il peut déplacer une pagode pour la placer sur un triangle de sa couleur. Le jeu est donc très mouvant à ce niveau. Surtout qu’il est possible de créer des triangles de tuiles jaunes pour construire la seule pagode jaune du jeu (les autres sont en double). Une pagode qui rapporte donc un point de victoire joker à la fin de chaque tour.

Les tuiles vertes ont aussi une autre utilité : lorsque vous en posez une sur le plateau, au lieu de piocher la tuile de remplacement au hasard, vous pouvez la choisir parmi une sélection de 6 tuiles visibles. Parfois utile pour préparer ses attaques.

Comme dans Tigre et Euphrate, les tuiles bleues (paysan) ne peuvent être jouées que sur les fleuves. L’un des deux est plus central dans Yellow & Yangtze, ce qui rend ces tuiles vraiment importantes. Leur particularité est que, en une seule action, vous pouvez en jouer autant que vous voulez. Ca permet de bien remonter cette couleur si vous êtes à la traîne dessus et ça redonne de l’intérêt pour une couleur qui est un peu plus difficile à jouer (du fait de sa contrainte géographique).

L’autre particularité des tuiles bleues, c’est qu’elles remplacent les tuiles Catastrophe. En défaussant 2 tuiles bleues (ou une seule si votre chef bleu n’est pas en jeu), vous pouvez retirer n’importe quelle tuile du plateau. Les parties sont donc bien plus dangereuses, car les joueurs peuvent beaucoup jouer dessus s’ils le souhaitent. Les conséquences sont à peu près les mêmes que dans Tigre et Euphrate à 2 exceptions près :
- La case n’est pas définitivement condamnée. On garde donc le côté agressif mais sans le côté défensif qui pouvait exister dans le jeu original.
- La construction des pagodes n’entraînent pas le retournement des tuiles, contrairement à Tigre & Euphrate. La destruction de l’une des 3 tuiles qui soutient une pagode entraîne la disparition de la pagode. Ce qui est un bon moyen de bloquer un joueur qui se "gavait" un peu trop.

Pour finir, il reste les tuiles rouges, qui représentent les soldats dans Yellow & Yangtze (il s’agissait de prêtre dans Tigre & Euphrate). Ces dernières servent à faire la guerre, l’équivalent des conflits externes dans T&E. Comme dans ce dernier, lorsque deux royaumes se rejoignent, s’il y a 2 chefs de la même couleur, il y a un affrontement. Il y a donc une guerre entre les deux royaumes. La procédure et les conséquences des guerres sont très différentes des conflits externes.

Dans Tigre & Euphrate chaque conflit était réglé l’un après autre, couleur par couleur, jusqu’à ce que toutes les couleurs soient décomptées ou jusqu’à ce que les royaumes soient à nouveau séparés. Car, lors d’un conflit, le perdant retirait toutes ses tuiles du plateau et le vainqueur gagnait autant de points dans cette couleur. Ca pouvait entrainer de grands changement sur le plateau.

Dans Yellow & Yangtze, il n’y a qu’un seul conflit : la guerre, qui se règle avec les soldats. Le royaume qui contient le plus de soldats l’emporte. Evidemment, comme dans T&E, les joueurs peuvent rajouter des soldats de leur main et les chefs rouges qui ne sont pas en jeu peuvent donner un bonus de 1. Au terme de ce décompte, l’armée la plus faible perd la guerre. Tous ses soldats sont retirés du jeu, mais l’armée victorieuse en perd le même nombre. Par exemple, si une armée avait 8 soldats sur le plateau et en a ajouté 3 en soutien et que l’armée adverse en avait 5 et en a ajouté 1, la première l’emporte. Les 5 soldats du plateau sont retirés et l’armée défaite avait une force de 6 (les 5 du plateau +1). L’armée victorieuse perd donc 6 soldats. On commence en comptant les 3 renforts, puis elle perd 3 soldats sur le plateau.
En terme de géographie, on a donc beaucoup moins le côté quitte ou double de l’original, car l’état victorieux perd quand même des plumes dans l’affaire. Par contre, tous les chefs qui étaient en conflit dans le royaume vaincu sont retirés du plateau et les chefs des couleurs correspondantes du royaume vainqueur gagne 1 point de leur couleur.
Oui, vous avez bien lu : 1 point. Et c’est évidemment le gros changement par rapport à T&E où une grosse victoire dans un conflit externe pouvait vous mettre définitivement à l’abri dans cette couleur. Ici, ce n’est plus le cas. En plus, la défaite militaire remodèle moins le plateau que dans T&E où certaines défaites avait un effet dévastateur. C’est moins le cas ici, car seuls les soldats sont tués dans la guerre. Thématiquement, ça colle beaucoup plus, et c’est aussi plus facile à expliquer. Surtout que c’est proche des révoltes. Les révoltes se gèrent au noir, les guerres, au rouge. C’est beaucoup plus simple mécaniquement, tout en étant très riche.

De plus, dans T&E, un royaume puissant dans une couleur était assez difficile à déboulonner. Dans Y&Y, vous pouvez préparer une grosse armée pour essayer de reprendre le contrôle d’un royaume. Mais chaque bataille vous fait perdre des soldats et les batailles suivantes seront donc plus difficiles ; ce qui n’était pas le cas dans T&E où le vainqueur ne perdait rien.

Avis

Comme vous pouvez le voir, les changements sont assez nombreux. Et pourtant, fondamentalement, c’est le même jeu. Le nom du jeu est évidemment une référence et le livret de règles l’indique clairement.
Et pourtant, les changements de règles ont un impact non négligeable sur la physionomie de la partie, tout en arrivant à conserver les sensations qui faisaient de Tigre & Euphrate un jeu fabuleux.

Le plus gros changement vient évidemment des conflits externes/guerres. Leur impact sur le score était trop important à T&E. Là, ils permettent juste de récupérer un point et de remodeler la physionomie du jeu. Ca donne des parties beaucoup plus tendues. A T&E, un score final ressemblait souvent à 8-9-11-17 (donc 8 points dans une couleur, 9 dans une autre, 11 et 17 dans la 4°, en comptant les jokers). A Y&Y, les scores sont plus de l’ordre de 9-10-11-11. Vous n’êtes donc jamais à l’abri, chacune de vos couleurs est constamment sous pression et vous devrez la surveiller jusqu’au bout. A T&E, un gros conflit externe réussi pouvait vous mettre à l’abri sur cette couleur jusqu’à la fin de la partie. Ce n’est plus possible et j’avoue que je préfère cet aspect. L’obligation de toujours surveiller les 4 couleurs est beaucoup plus intéressant.

L’autre gros changement, ce sont les pagodes. Thématiquement, c’est le seul aspect qui fonctionne un peu moins bien je trouve. Même si elles ne représentent pas de gros monuments (pagode est un terme générique, chaque couleur représentant quelque chose de différent, par exemple une garnison pour la rouge), leurs mouvements perpétuels sur le plateau est un peu bizarre. Par contre, ça donne une vraie dynamique dans le jeu, avec une bataille permanente pour en prendre le contrôle (action des tuiles vertes, conflits interne/révolte, action des tuiles bleues (révolte paysanne), guerres. L’arrivée de la couleur jaune rend le jeu aussi plus simple. Il y avait tout un aspect du jeu qui tournait autour des trésors mais qui nécessitaient des règles spécifiques : là, c’est épuré avec une couleur qui fonctionne comme les autres pendant la partie et qui donne des points joker en fin de partie. Simple, efficace, provoquant de l’interaction. Une autre très bonne idée.

Dans Tigre & Euphrate, chaque couleur avait une spécificité :
- le noir, par son chef qui récupérait les PV par défauts
- le vert, par son chef qui récupérait les trésors (les jokers)
- le bleu, par ses tuiles, les seules pouvant aller sur l’eau
- le rouge, par ses tuiles, qui étaient celles qui soutenaient les chefs.

Dans Yellow & Yangtze, chaque tuile a une spécificité :
- les noires soutiennent les chefs (ce que faisaient les rouges avant)
- les bleues vont sur l’eau, comme avant, et on peut en jouer plusieurs en une action
- les rouges font la guerre
- les vertes permettent de récupérer une tuile face visible pendant son tour
- et les jaunes servent de joker

Quant aux chefs, ils soutiennent les actions de leur couleur :
- révolte pour le noir
- guerre pour le rouge
- révolte paysanne pour le bleu
- déplacement de pagode pour le vert

C’est en fait plus clair, plus limpide. Chaque couleur a son petit bonus.

Conclusion

Yellow & Yangtze semble corriger quelques légers défauts de Tigre & Euphrate tout en conservant ce qui en faisait le sel : les conflits et l’interaction permanente. Les conflits externes (guerres) sont un peu moins violent, mais l’apparition de la couleur jaune et le fait de pouvoir plus facilement provoquer des catastrophes contrebalancent cette légère perte d’interaction.
Après seulement quelques parties (et donc avec toutes les réserves qui vont avec), je trouve que Knizia a réussi son pari : sublimer ce qui est peut-être encore à ce jour son jeu phare. Le pari était à la fois osé et risqué. Réussir cette prouesse 25 ans après la création de l’original montre que l’auteur allemand a sûrement encore de quoi nous surprendre.