Le jeu

Aujourd’hui, c’est jour de marché ! Les fournisseurs arrivent avec leur camion de produits frais et les détaillants essayent de trouver les meilleurs emplacements. Lesquels ? Ceux qui sont les plus proches des fournisseurs pour pouvoir proposer de bons produits. Saurez-vous dénicher la bonne place au bon prix ?

Comment ça marche

Dans Jour de marché, chaque joueur va essayer de vendre 4 produits : poisson, glace, fromage et soda. Au début de la partie, on constitue un plateau avec les plaques fournies en fonction du nombre de joueurs. Puis on constitue une pioche d’étal avec un étal de moins de chaque type qu’il n’y a de joueurs et quelques étals neutres. On laisse un étal de chaque type de côté. On place ensuite les 4 camions de fournisseur sur le plateau.

A son tour, un joueur peut soit placer un pion de sa couleur sur un emplacement (pour le "réserver") soit piocher un étal dans la pioche. S’il pioche un étal neutre, il le place sur l’une de ses réservations et rejoue (en posant un pion ou en piochant). S’il pioche un étal de produit, cet étal est mis aux enchères entre tous les joueurs qui n’ont pas encore acheté cet étal. Il s’agit d’une enchère simultanée à poing fermé. Le meilleur enchérisseur paye son enchère à la banque et pose l’étal sur un emplacement qu’il avait précédemment réservé. Ce placement peut entraîner l’apparition de "chemins". En effet, le marché souhaite que tous les étals de produits et tous les camions soient relié entre eux. Ce qui peut entraîner l’apparition "automatique" de chemin. Si des pions de réservation se trouvaient sur ces cases, ils sont retirés.

La partie s’arrête lorsque la pioche est vide. Les 4 derniers étals sont "donnés" aux joueurs qui n’en avait pas et placés sur un emplacement réservé du plateau. On compte alors les scores : chaque joueur additionne les 4 distances entre ses étals et le fournisseur correspondant. Puis on retranche au résultat l’argent restant. Le vainqueur est le joueur avec le moins de points.

Critique

La première édition de ce jeu date de 1997. Je l’ai personnellement découvert en 2004, à Essen, sur une édition de 2002. Une soirée mémorable, le soldeur a du vendre son stock de FrischFish (le nom original) uniquement à des français ou presque le lendemain.

Cette version de 2014, qui est proposée en VF, est très proche de l’original. Cependant, Friese a apporté quelques améliorations, principalement sur la fin de partie et le plateau modulable. De plus, il propose une version "simplifiée" pour appréhender les concepts de base du jeu. Attention cependant, cette version est présentée en premier dans la règle. Si elle peut permettre de découvrir ce jeu très particulier, elle n’a clairement pas la saveur de l’"original", présenté à la fin de la règle. Car, ne nous le cachons pas, ce qui fait le sel de ce jeu, c’est évidemment la construction des chemins. Tout le jeu repose là-dessus. Et lors des premières parties, il n’est pas évident d’appréhender cette mécanique pour le moins déroutante. D’où l’idée de l’auteur de proposer cette variante. Mais cette critique va s’attarder sur la version "classique", car c’est elle qui, à mon sens, fait tout l’intérêt de ce jeu.

Jour de marché est donc un jeu qui ne ressemble à aucun autre. Les règles sont super simples : tu commences avec 15 thunes et tu vas essayer de placer tes étals le plus près possible de leur fournisseur. A ton tour, soit tu poses un pion sur le plateau, soit tu pioches. C’est clair, limpide, évident, fluide. Mais alors, qu’est-ce qui donne à ce jeu ce petit plus ?
Comme on l’a évoqué, c’est ce principe de construction des chemins. Au début de la partie, il y a 4 emplacements occupés par les camions de fournisseurs. Et ensuite, le plateau va se remplir au fur et à mesure. A la fois avec les étals neutres et ceux des joueurs. Le principe c’est que tous les emplacements libres et tous les chemins doivent être reliés entre eux. De plus, chaque étal de joueur et chaque camion de livraison doit être relié au chemin. Donc, lorsque l’on construit un étal (qu’il soit neutre

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La case indiqué par la flèche se retrouverait isolée si on construisait un étal juste au-dessus. Une route est donc immédiatement placée à cet endroit.

ou qu’il appartienne à un joueur), on va vérifier que ces règles pourront toujours être respectées.
La seconde règle est la plus simple : comme les camions et les étals de joueurs doivent être connecté au chemin, si un étal est posé de telle manière que 3 cases adjacentes sont occupés, alors on construit un chemin sur la 4° case pour assurer la liaison.
La seconde est plus vicelarde. Le cas le plus simple est celui du coin. Un coin a 2 cases adjacentes. Si l’une des deux cases est occupé par un étal (neutre ou à un joueur, comme toujours), alors il faut mettre un chemin sur l’autre case pour que les cases vides et les chemins soient toujours reliables. En effet, si on ne pose pas de chemin à cet endroit, un étal pourrait y être construit et la case vide du coin se retrouverait isolé,

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Dans cette situation, le plateau reste "connecté, il n’y a donc pas de souci.

ce qui est interdit par les règles (voir l’exemple ci-contre).
Mais cette règle va évidemment beaucoup plus loin. Un autre cas, classique, c’est si une ligne continue d’étal coupe le plateau en deux, en laissant un passage à chacune de ses extrémités (pour que les gens puissent passer d’un côté à l’autre du marché). Dans ce cas, la construction d’un étal à l’une de ses extrémités entraîne immédiatement la construction de chemin au niveau de l’autre extrémité pour assurer la connexion.

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Si le joueur violet construit un étal en haut comme indiqué, il faut immédiatement placé des chemins en bas pour assurer la cohésion du marché. Si des pions de réservation était placés sur ces cases, ils sont retirés

Evidemment, la construction de ces chemins est prioritaire et tous les pions de réservation qui se trouvaient sur ces cases sont éjectés du jeu et rendus à leur propriétaire. Et c’est là que le jeu devient ultra violent. Car, votre jeton si idéalement placé pour accueillir votre étal de poisson, juste en face du camion, peut se faire éjecter par la construction de chemin et adieu l’emplacement l’idéal. Mais ça ne s’arrête pas là. Si vous avez réussi à placer votre étal en face du camion correspondant (à une case de distance, la distance 0 n’étant pas acceptée), encore faut-il que le chemin passe entre votre étal et le camion. Mais si quelqu’un y construit un étal (à lui ou neutre), le chemin va être plus long. Un peu, ou beaucoup, voire énormément. Jour de marché est le jeu, où la pose d’un simple pion sur le plateau par un adversaire, me donne le plus de frissons. Les conséquences de cette pose pouvant être absolument dramatiques. Sur le coup, rien ne se passe : ce n’est qu’un pion et les pions ne font rien dans ce jeu, ils ne sont que des réservations pour plus tard. Entre joueurs de différents niveaux, c’est assez drôle. Un joueur expérimenté pose un jeton, un autre lâche un petit "Enfoiré". Et les joueurs débutants le regardent sans comprendre. Il a juste posé un pion, c’est pas méchant. Ils ne sont pas encore capable de voir les implications de ce coup, tout ce qui pourrait en découler. Car, votre pion, placé à 3 de distance du camion peut se faire éjecter si cet adversaire arrive à poser un étal avant que vous ne placiez le votre. Et l’emplacement suivant le plus proche est à 8 de distance. 5 de plus, c’est énorme ! Aucun autre jeu ne me procure cette sensation là.

Un autre moment de tension dans le jeu, c’est la pioche d’un étal. La plupart du temps, vous préféreriez pioché plutôt tel ou tel étal, car vous avez une réservation idéale pour celui-ci (soit parce qu’elle est bien placée vis-à-vis du camion, soit parce qu’elle embêterait bien un adversaire). Et, évidemment, c’est rarement le bon étal qui sort. Il faut donc constamment être prêt et avoir des solutions quel que soit le résultat de la pioche. Mais cette tension est aussi palpable chez les autres joueurs. Car, si un adversaire vient de se faire éjecter son pion de réservation idéalement placé pour le poisson, il n’a pas trop envie que cet étal soit pioché tout de suite au risque de se retrouver un peu loin.

Et si vous piochez un étal, s’en suit l’éternelle question de la mise. Chaque thune vaut 1 point de victoire. Il faut donc bien mesurer ce que vaut cet étal. Trop cher et ce sont de précieux points qui s’envolent, pas assez, et peut-être que le prochain étal ne pourra pas être placé aussi bien (car qui sait ce qu’il peut arriver d’ici là vos jetons de réservation).

Il faut aussi être attentif sur la fin de partie. Car, lorsque la pioche d’étal est vide, il reste les 4 derniers à placer. Pas d’enchère pour ceux-là vu qu’il n’y a plus qu’un seul joueur qui ne l’a pas acheté. Il le récupère donc gratuitement, immédiatement et le pose sur l’une de ses cases réservées. Dès le début de la partie, on sait dans quel ordre ils seront posés. Le petit problème, c’est que si l’ordre final (tiré au sort en début de partie) est Glace - Poisson - Fromage - Soda, lorsque le dernier étal de la pioche est posé, on donne immédiatement l’étal à Glace au joueur qui ne l’a pas eu. Puis on vérifie si ça fait apparaître des chemins. Puis, même chose avec l’étal à Poisson. Quand on arrive au dernier étal (celui à soda dans cet exemple), le joueur, qui n’a toujours pas posé son étal à soda, le récupère et le pose sur l’une de ses cases réservées. Sauf qu’entre le dernier étal de la pioche puis les 3 étals de Glace, Poisson et Fromage, certains disques de réservation de ce joueur ont pu être éjecté par le placement automatique des chemins. Et dans ce cas, la place restante est souvent catastrophique. Dans le cas où il en reste une ! Si le joueur n’a plus de pions de réservation sur le plateau, il est alors considéré comme se trouvant à une distance "forfaitaire" comme d’ailleurs, tous les étals se trouvant au-delà de cette limite. Une tension palpable du début à la fin de la partie.

Côté matériel, on est dans le classique chez 2F Spiele : du carton, du bois, les illustrations habituelles de Lieske dans les jeux 2F : standard pour les amateurs, moche pour ceux qui ne sont pas habitués. Cependant, le jeu aurait mérité une édition un peu plus soignée pour faciliter la lisibilité. Il est en effet primordial de bien différencier les étals des joueurs des étals neutres et des chemins. Un effort a été fait puisque chaque étal est matérialisé par un pion en bois qui ressort bien, mais je trouve que les rues ne tranchent pas assez avec le reste. Pas facile de trouver une solution jolie, fonctionnelle et pas cher. Par rapport à l’édition précédente que je possédais, le jeu est plus joli (ce n’est même pas comparable), mais les rues ultra moches ressortaient de manière très nette dans l’ancienne version.

Le jeu est annoncé de 2 à 5 joueurs. Comme souvent pour un jeu d’enchère, la version à 2 joueurs n’a pas beaucoup d’intérêt. Par contre, comme il s’agit d’enchère simultanée et que la taille du plateau est adaptée, le jeu fonctionne plutôt bien dès 3 joueurs, jusqu’à 5. Cette dernière configuration est cependant à déconseiller pour découvrir le jeu qui peut être très violent dans ce cas.

Conseils tactiques et stratégiques

- C’est le plus petit score qui gagne. Il est fréquent de gagner avec moins de 5 points. Les scores négatifs sont possibles. Il est quasi impossible de gagner avec un score supérieur à 10.
- N’oubliez pas que vous n’avez que 15 thunes pour toute la partie. Il faut gérer avec.
- Lorsque vous piochez, vous devez savoir ce que vous ferez de la tuile quel qu’elle soit, même neutre.
- En début de partie, vous devez donc avoir au moins 4 pions de réservation placés avant de piocher : un à proximité de chaque camion.
- Ce conseil est valable pendant toute la partie : vous devez toujours être placé sur un emplacement potentiellement intéressant pour chaque étal que vous seriez amené à piocher. En effet, si on pioche un étal pour lequel vous êtes mal placés, il est possible que tout le monde mise 0 et que vous remportiez donc l’enchère, même sans miser. L’étal, s’il se retrouve trop loin du camion, ne sera pas intéressant, même s’il n’a rien coûté.
- N’oubliez jamais que les thunes sont des points en fin de partie. Vous devez toujours les dépenser à bon escient.
- Il existe 2 grandes lignes stratégiques :
- Agressif : j’essaye d’acheter rapidement mes premiers étals pour ensuite essayer de gêner les autres joueurs en pourrissant leurs placements.
- Attentiste : j’attends que les autres se placent pour mieux visualiser les bons emplacements
La stratégie agressive coûte souvent un peu plus cher et oblige à prendre des emplacements risqués. Si le contrôle du placement des chemins fonctionne, c’est le jackpot, sinon, ça peut être la cata.
La stratégie attentiste permet souvent d’économiser beaucoup d’argent (donc des points), mais les bonnes places peuvent disparaître avant que vous n’ayez le temps d’en bénéficier.
- Évidemment, le jeu oblige souvent à jouer entre ces deux extrêmes, pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et pouvoir s’adapter au déroulement de la partie.
- Lorsque vos 6 pions sont sur le plateau, vous devez piocher. Faîtes donc attention à être bien placés. Si vous avez 2 réservations pour l’étal à poisson (pour maximiser vos chances), 2 pour des étals neutres (et donc le contrôle de la construction des chemins), vous n’avez plus assez de jeton pour être correctement placé pour les 3 autres étals. Il y a donc un petit danger. Soyez vigilant !
- Il reste conseillé d’expliciter les conséquences du placement d’un étal en terme d’apparition de chemin, histoire que chacun puis miser en toute connaissance de cause. Les premières parties seront toujours un peu compliquées de ce points de vue, donc prenez bien le temps de comprendre toutes les implications de ces règles.
- S’il est recommandé de jouer avec un plateau le plus "carré" possible, n’hésitez pas, lorsque vous maitriserez un peu mieux le jeu, à essayer des marchés plus en longueur ou avec un "trou" au milieu (comme s’il y a avait une fontaine sur la place du marché).

Public

Jour de marché est un jeu paradoxal. Les règles et les mécanismes sont suffisamment simples pour être abordés par des enfants de 10 ans et le jeu peut donc être joué avec un public assez large. Mais la mécanique centrale de construction des rues (beaucoup plus simple à appréhender dans la version basique, mais beaucoup plus intéressante à jouer sur le moyen terme) peut en rebuter plus d’un. Cependant, cette mécanique est parfois très bien comprise par des joueurs néophytes alors que certains joueurs aguerris peuvent avoir plus de mal à la saisir. Le jeu demande quand même de la réflexion et un peu de calcul, mais je trouve que c’est un jeu qui peut séduire des gens qui sont prêts à faire ça dans un jeu, même s’ils ne sont pas familiers avec les jeux de société en général.

Conclusion

Près de 20 ans après sa sortie, je fut très agréablement surpris par la réédition de ce classique de mes soirées jeux. A la fois subtil, violent, drôle, rapide, Jour de marché a toutes les qualités requises pour ce genre de jeu. Alliant une simplicité déconcertante de ses règles à une idée mécanique vraiment géniale, il offre des parties toujours tendues.
Ses légers défauts ergonomiques sont vite oubliés face à l’efficacité et à l’originalité des parties. C’est le seul jeu de ce format que je ressors toujours de temps en temps depuis près de 20 ans.