Le jeu
Au Moyen Age, des scientifiques viennent de percer les secrets du voyage dans le temps. Les seigneurs de l’époque vont en profiter pour étendre et maintenir leur influence à travers les âges. Vos châteaux et abbayes résisteront-ils au temps, saurez-vous trouver les moyens pour garder le contrôle des villes après l’âge d’or ?
Comment ça marche
Chaque joueur contrôle deux aventuriers capables de voyager dans le temps. Chaque aventurier a la possibilité de jouer 2 cartes par tour, le joueur qui les contrôle joue donc 4 cartes à chaque tour. Ces cartes représentent les 3 couleurs du jeu : le bleu (représentant le civil), le violet (représentant le religieux) et l’orange (représentant le militaire). Le plateau de jeu est quant à lui représenté par un triptyque représentant la même région à 3 époques différentes.
Lorsqu’un aventurier joue des cartes sur la 1° ou la 2° époque, il peut construire un bâtiment de la couleur correspondant aux cartes jouées sur la région où se trouve l’aventurier. Plus le joueur joue de cartes, plus le bâtiment construit est important. Il est aussi possible d’agrandir des bâtiments déjà présents. Le joueur marque le bâtiment avec un cube de sa couleur. Les bâtiments civils n’appartiennent à personne. De plus, si le bâtiment est suffisamment grand, il est reporté sur les plateaux futurs. Seuls les villages et cités peuvent être construits sur le fleuve. A la 3° époque, les cartes permettent de peupler les villes ou de rénover les bâtiments en ruine.
Les bâtiments posés les uns à cotés des autres forment un domaine. Un domaine ne peut avoir qu’un seul "plus gros" bâtiment violet et qu’un seul "plus gros" bâtiment orange. Si deux domaines fusionnent (cela ne peut être fait qu’avec un bâtiment civil), et qu’il y a deux "plus gros" bâtiments militaires ou religieux, il y a conflit et le bâtiment le "plus fort" (c’est-à-dire celui qui avait le plus grand nombre de bâtiments de son type dans le domaine d’origine) devient le bâtiment le "plus gros" et l’autre est réduit.
La partie dure 7 tours et il y a un décompte au tour 4 et au tour 7. A son tour, le joueur effectue le décompte. Le joueur ne peut gagner des points que sur les deux époques où il est présent avec ses aventuriers. Sur la 1° époque, pour chaque domaine dans lequel il a le "plus gros" bâtiment militaire, le joueur gagne la valeur civile du domaine. Sur la 2° époque, pour chaque domaine dans lequel il a le "plus gros" bâtiment religieux, le joueur gagne la valeur civile du domaine. Pour la 3° époque, le joueur qui a le plus repeuplé les bâtiments civils d’un domaine gagne la valeur militaire et religieuse du domaine (les bâtiments rénovés rapportent évidemment plus de points que les bâtiments en ruine).
Après le deuxième décompte (au 7° tour), le joueur qui a le plus de points remporte la partie.
Critique
Une grosse boite, un matériel de qualité, un gameplay original, Khronos a indéniablement beaucoup d’atouts pour plaire. A commencer par cette histoire de voyage dans le temps qui nous met en face d’un plateau représenté 3 fois, strictement identique mais représentant 3 époques différentes. En terme de jeu, cela donne un truc original, mais pas forcément facile à appréhender lors de la première partie. Entre les différentes règles de hiérarchie au sein des domaines, les bâtiments qui se reportent d’une époque à l’autre, les possibilités de gérer le voyage dans le temps, les "paradoxes temporels" qui obligent à détruire des bâtiments lors de construction faite au même endroit mais dans le passé, on a un jeu aux multiples facettes, avec pas mal de règles, mais qui reste jouable car l’ensemble est logique. J’ai regardé à de nombreuses reprises la règle lors de ma première partie, mais à chaque fois, la réponse à laquelle je pensais était la bonne. Le jeu est donc logique et quand on a compris ça, son déroulement devient plus clair.
Ensuite, quand on commence à maitriser un peu le jeu, il faut bien avouer que poser des tuiles pour former des domaines avec la possibilité de conflit pouvant entrainer la disparition de tuiles, on ne peut que penser à Euphrat & Tigris. Evidemment, les différences sont présentes, mais certains liens permettent aux amateurs du premier de trouver leurs marques dans ce jeu. Je trouve que Khronos est un peu plus chaotique que Euphrat & Tigris mais qu’il garde plus d’intérêt quand on descend en nombre de joueurs. En effet, la "réduction" de la taille du plateau dans Khronos (le plateau garde la même taille, mais il est plus cher de construire à certains endroits) permet au jeu de rester tendu même quand on joue à 2 ou 3 joueurs, ce qui me semble moins vrai dans Euphrat & Tigris. Par contre, il peut se passer vraiment beaucoup de choses entre deux tours de jeu et le jeu devient très chaotique à 4 ou 5 (je déconseille même de le faire découvrir à 5 joueurs, la partie pouvant alors trainer en longueur).
Le système d’argent est aussi une bonne idée. L’argent permet de changer sa main (ou d’acheter des cartes avec la variante), de voyager dans le temps et de détruire les petits bâtiments. Comme l’argent représente les points de victoire, il faut bien calculer son coup et chaque dépense doit être faite avec un but précis qui pourra rapporter beaucoup. L’autre dilemme du jeu se situe au niveau des décomptes : seules deux époques, pour chaque joueur, seront décomptées. Il faut donc voir sur quelles époques on joue. On peut se concentrer sur 2 époques et essayé de "bien" les jouer, mais si vos adversaires deviennent trop agressifs il peut être difficile de tout garder. On peut aussi se placer sur les 3 époques, en sachant qu’on ne pourra pas se battre sur tous les fronts mais en se disant qu’on aura plus de choix sur les époques à décompter et qu’on est donc plus protéger contre les attaques adverses. Tout cela rend chaque décision importante, surtout que chaque joueur a toujours de nombreuses opportunités à son tour de jeu et qu’il est possible de faire beaucoup de choses avec ses cartes.
Le choix de l’époque où l’on joue est aussi très important car chaque époque a ses spécificités. Si les deux premières répondent en gros aux mêmes règles, il existe des différences, certes légères mais qui sont importantes. Entre autre, la constructions des grands bâtiments rapportent plus à l’époque des prieurés, mais venir y construire trop rapidement, c’est risquer le paradoxe temporel dû à la construction à l’époque des commanderies. De plus, les joueurs vont osciller entre construction aux commanderies qui seront reportées aux prieurés et construction directe à cette dernière époque en essayant de la protéger des attaques du passé, principalement en construisant des petits bâtiments qui ne passent pas d’une époque à l’autre. Mais comme il est possible de détruire les petits bâtiments, rien n’est sûr. A la dernière époque, il n’est pas possible de construire directement, on ne peut occuper que les bâtiments provenant du passé. C’est donc une époque très "opportuniste", où les joueurs peuvent tenter de gagner des gros points en profitant des constructions adverses. Mais là encore, le passé pourra jouer des tours.
Chaque joueur doit donc faire au mieux, avec ses cartes, pour trouver les meilleures opportunités, construire son domaine en s’appuyant sur ce que font les autres et, en même temps, ralentir la progression adverse. Cela fait beaucoup de choses, et il est certain qu’une bonne expérience permet de mieux saisir les opportunités offertes par le jeu et de trouver les bons coups, qui nous permettront de progresser tout en ralentissant ses adversaires. Evidemment, on ne peut pas faire ce que l’on veut car tous les coups joués dépendent des cartes que l’on possède. Cela peut être très frustrant mais évite aussi de tomber dans un jeu trop calculatoire où les joueurs pourraient prendre beaucoup de temps pour trouver les meilleurs coups. Déjà qu’en étant limité par les cartes qu’on a en main, on peut vraiment chercher à optimiser, sans ça, le jeu pourraient s’éterniser. Cependant, les auteurs ont pensé à ceux qui préfèrent des jeux avec plus de contrôle et ont publié une variante intéressante. Les aficionados du sans hasard peuvent évidemment jouer en choisissant leurs cartes à chaque tour, mais un sablier deviendra sûrement indispensable. Le fait de devoir s’adapter aux cartes rend le jeu tendu, même si, en effet, il ne favorise pas les plans sur le long terme, qui sont, de toute manière, difficile à mener à cause des changements constants du plateau.
Le système de décomtpe, quant à lui, rappelle celui de la trilogie Tikal/Java/Mexica où chaque joueur compte ses points à son tour (à la fin de ses tours 4 et 7). Cela permet à chacun d’optimiser son score à ce moment, mais les premiers doivent prendre garde à ne pas trop avantager, par leurs actions, les joueurs suivants. C’est un système qui fonctionne pas mal ici, car il est possible de faire perdre de la valeur à un domaine sans que le joueur suivant ne puisse tout reprendre. On peut donc pas mal bloquer les autres, tout en optimisant son score. De manière générale, d’ailleurs, le jeu est assez interactif, et oblige à bien faire attention à ce que font les autres et à essayer d’attaquer l’adversaire au moment opportun.
Comme je l’ai dit plus haut, le jeu reste très intéressant à 2 et 3 joueurs, beaucoup plus à mon avis que Euphrat & Tigris. Personnellement, je trouve même le jeu meilleur dans cette configuration. La partie est tendue, on peut optimiser ses coups à l’avance, on peut aussi bien gêner son adversaire que construire ses domaines. De plus, à 2, on peut jouer en 45 minutes environ, ce qui donne un jeu rapide, mais tendu, avec pas mal de réflexion. Le jeu à 3 joueurs conserve ces avantages. A partir de 4, le déroulement est plus chaotique et, si les joueurs ne sont pas disciplinés, les parties peuvent s’éterniser. De plus, les modifications sur le plateau sont nombreuses entre chaque tour, ce qui rend toute planification illusoire ou presque. Cependant, lorsque les joueurs maitrisent bien les règles et joue assez vite, on a un jeu opportuniste assez ouvert, avec beaucoup de possibilités et de coups en traitre qui donnent des parties agréables. Mais je pense que c’est une mauvaise chose que de découvrir le jeu dans ces conditions.
Conseils tactiques et stratégiques
- Une partie se joue aux alentours d’une grosse quarantaine de points quand elle équilibrée. Cependant, les scores sont assez variable en fonction de l’agressivité de la partie.
Comme à Euphrat & Tigris, vous devez réfléchir à vos possibilités d’action en fonction de vos cartes et pas l’inverse.
N’oubliez les bonus octroyés par la construction des bâtiments moyens et gros.
Même s’il est plus intéressants de construire directement à l’époque des prieurés, n’oubliez pas le "paradoxe temporel" qui peut détruire vos bâtiments à cette époque.
N’hésitez pas à vous déplacer pour vous rendre à une époque peu exploiter par les autres, vous pourrez en retirer des bénéfices plus facilement.
L’option de détruire les petits bâtiments est souvent négligée ou oubliée : elle reste pourtant centrale et peut rapporter beaucoup de points.
Evitez de trop vous concentrer sur un plateau : il est plus lucratif de gagner des points sur deux plateaux que sur un seul. Cependant, si vous vous dispersez trop, vous risquez de ne pas gagner grand chose. Il faut donc trouver un juste équilibre.
Votre capital de départ est faible, vous devez le gérer pour qu’il tienne jusqu’au premier décompte. Dans cette optique, la construction de bâtiments moyens ou gros peut vous apporter l’argent dont vous avez
besoin pour vos déplacements ou vos destructions qui restent plus efficaces à l’approche des décomptes.
Lors de vos préparations de conflits, n’oubliez pas que TOUS les bâtiments, même ceux des adversaires, comptent dans la résolution du conflit.
Public
Malgré un thème assez attrayant, la mécanique de Khronos est assez exigeante et réserve le jeu à un public averti, recherchant des jeux où l’on réfléchit beaucoup. La mécanique est très allemande et les amateurs de jeux immersifs ont peu de chances d’y trouver leur compte. Mais passé le problème de règles, le jeu devrait aux amateurs de jeux de "tuiles" à l’allemande.
Conclusion
Khronos vient démontrer qu’il est encore possible d’innover dans le jeu allemand pour joueurs avertis. D’ailleurs, sorti fin 2006, il fut l’un des premiers jeux d’une série de vraies réussites dans le domaine des jeux allemands. Avec des auteurs et un éditeur français, la France continue à montrer qu’elle a de nombreux acteurs capables de percer et de sortir des jeux intéressants. Personnellement, je trouve que Khronos n’a pas à rougir de son prédécesseur, Euphrat & Tigris, et offre des parties dynamiques et variés. Son principal défaut vient des règles, pas facile à appréhender au début, mais leur logique permet quand même de rentrer dans le jeu après une partie. Et surtout, il offre une très bonne alternative à Euphrat & Tigris à moins de 4 joueurs. Une très bonne référence à essayer d’urgence !