Le jeu
Caraïbes, XVIIème siècle. Les nations européennes ont étendu leur influence sur la zone. En tant qu’aventuriers, vous essayez de profiter de la situation pour vous enrichir et devenir un homme en vue. Exploration, mission, influence, tous les moyens sont bons pour décrocher une place au soleil. Saurez-vous naviguer et éviter les écueils pour obtenir gloire et fortune aux Caraïbes ?
Comment ça marche
Le jeu se déroule en 4 manches durant lesquelles les joueurs vont faire le tour des Caraïbes en partant de la Havanne. A chaque tour, vous pouvez déplacer votre bateau de 1 à 7 cases et faire l’action de l’endroit où vous arrivez. Si vous arrivez dans une ville, vous effectuez l’action de la ville. Elles sont très variables et peuvent changer d’une partie sur l’autre. Elles permettent souvent d’améliorer son bateau (pour gagner des bonus), de gagner de l’argent, de jouer les mercenaires pour les
nations qui se battent dans la région (France, Angleterre et Espagne) ou encore d’explorer la jungle.
Si vous vous arrêtez dans un village, vous pouvez faire diverses actions, dont la principale est de jouer une carte de votre main. Il y a parfois des quêtes à réaliser dans certains villages pour gagner divers avantages ou des assistants que vous avez pu placer précédemment et qui vous donnent des bonus.
Lorsqu’un joueur a fait le tour du plateau, les autres joueurs jouent une dernière fois puis chacun gagne ses revenus en points de victoire et en argent.
Au bout des 4 manches, les joueurs ajoutent aux points gagnés pendant la partie (grâce aux combats, aux différents bonus, à certaines actions, à l’exploration, aux revenus,...) les points des cartes qu’ils ont joué et ceux octroyés par l’influence qu’ils ont dans chaque nation. Le joueur avec le plus de points l’emporte.
Critique
A la lecture des règles, Maracaibo apparaît comme un successeur de Great Western : un "circuit" sur lesquels les joueurs se déplacent d’un certain nombre de cases en réalisant l’action correspondant à l’endroit où ils s’arrêtent, une piste de progression "secondaire" sur laquelle 2 joueurs ne peuvent pas être sur la même case et qui permet de récupérer des bonus de plus en plus intéressant, un plateau perso sur lequel on peut débloquer des avantages. Ca paraît presque trop proche, même s’il y a évidemment des différences, principalement ce gros paquet de cartes à effet. On pourrait presque y voir un Great Western (GWT) dopé au Terraforming Mars.
Mais qu’en est-il réellement ? Force est de constater que si les similitudes sont bien là et se font bien sentir lors des premiers tours, elles s’estompent assez rapidement. Déjà, les cartes changent en effet complètement la dynamique du jeu, car elles sont centrales. De plus, le rythme du jeu est complètement différent : en effet, à Maracaibo, les joueurs ne feront que 4 fois le tour du plateau alors que c’est variable à GWT. Lorsqu’un joueur termine son tour de plateau, les autres joueurs jouent une dernière fois et tant pis pour eux s’ils n’ont pas pu aller au bout du parcours. Ca ajoute évidemment une tension assez forte qui oblige les joueurs à surveiller leurs adversaires pour savoir où ils en sont et ce qu’ils auront le temps de faire avant que la manche ne se termine.
Côté piste secondaire (exploration de la jungle à Maracaibo, avancée de la locomotive à GWT), c’est aussi assez différent. Celle de GWT est sensiblement plus longue. Maracaibo propose aussi des petites déviations (correspondant aux gares de GWT) pour prendre des bonus plus sympas, mais il y aussi une "grosse" déviation de 6 cases contre 4 au milieu de la piste. La principale différence vient du fait qu’il y a des choses à gagner sur toutes les cases à Maracaibo. Mais on ne gagne que le bonus de la case où on s’arrête. Il y a donc souvent de gros dilemmes entre aller vite pour atteindre rapidement les gros bonus, ou s’arrêter sur une case avec un meilleur bonus. Et comme à GWT, on évite de se faire larguer pour pouvoir se dépasser les uns les autres et ainsi pouvoir aller plus vite.
La 3° ressemblance évidente est donc l’évolution du plateau personnel. A Maracaibo ça se passe grâce à des "livraisons" de ressources que l’on fait pour faire évoluer son bateau. Chaque livraison permet de se débarrasser d’un disque, et il faut retirer 2 disques pour gagner une amélioration. Il y a 12 améliorations à débloquer, certaines dépendant du déblocage préalables de certaines autres. Elles sont très différentes les unes des autres, certaines sont plus intéressantes avec certaines stratégies, d’autres sont plus généralistes. Les choix des joueurs seront énormément impacté par le déblocage de ces avantages et il faut choisir avec soin ceux dont on a besoin.
Mais on l’a dit, la grande différence entre les deux jeux de Pfister, ce sont les cartes. Un énorme paquet de cartes. Ces cartes sont divisées en 2 paquets (+ les cartes Histoire sur lesquelles nous reviendront plus tard) : les cartes de "base", présentes à chaque partie et qui sont les soutiens des stratégies de base du jeu ; et les cartes "avancées", dont on utilise qu’un certain nombre à chaque partie. C’est l’un des moments "chiants" de la mise en place (mélange des cartes de base et distribution de 8 d’entre elles à chaque joueur, comptage des cartes "avancées" avec lesquelles on va jouer, mélange de ces cartes avec les cartes de base non distribuées pour former la pioche). Mais c’est aussi ce qui permet d’avoir une main de départ plutôt exploitable sans passer par un draft, tout en ayant une variété de parties grâce à un pool de cartes toujours différent.
Les cartes sont vraiment le ciment stratégique du jeu : elles vont permettre de se développer et offre un panel assez large de choix : augmentation des revenus de fin de manche, réduction, pouvoirs spéciaux ou encore les fameux assistants (ou espions dans la VF) qui pourront être placés dans certains villages du plateau pour nous donner des avantages quand notre bateau s’y arrêtera. Contrairement à Terraforming Mars, Pfister n’a pas choisi l’option de la diversité : les cartes ne sont pas uniques et il est possible de poser plusieurs cartes identiques si on le juge utile. Ça permet de vraiment se spécialiser ou au contraire de tenter une certaine diversification (même si, comme souvent chez cet auteur, trop de diversification pourra être néfaste). Cependant, le paquet B reste suffisamment varié pour apporter une belle diversité dans la manière de mener sa stratégie. L’exploration de ces différentes voies et de leurs variantes demandent pas mal de parties.
Évidemment, dans un jeu avec autant de cartes, l’écueil est la mauvaise gestion du hasard : si la pioche devient prépondérante, on perd rapidement de l’intérêt pour le jeu. Pfister a développé un système de "rotation" de la main qui fonctionne vraiment très bien. En plus de sa fonction principale, chaque carte est associée à une ressource et à un objet. Les ressources sont livrées dans les ports pour débloquer les améliorations du bateau, les objets servent pour réaliser des quêtes disséminées sur le plateau. De plus, l’une des actions "secondaires" du jeu consiste à se défausser de toute sa main pour gagner de l’argent. Et certains pouvoirs permettent de défausser des cartes pour gagner quelques bonus. Pour piocher les cartes, soit on le fait classiquement au sommet de la pioche, soit on se sert dans une "rivière" de 4 cartes visibles. Mais se servir ici coûte 1 doublon, sauf si on a débloqué l’amélioration de bateau correspondante et, dans ce cas, c’est gratuit. De même, la main de 4 cartes initiale peut être augmentée à 6 cartes avec l’amélioration correspondante. De plus, il est possible de mettre jusqu’à 3 cartes de côté pour les jouer plus tard. Avantage, vous avez moins de cartes en main et vous allez donc pouvoir piocher ; inconvénient : les cartes mises de côté ne peuvent plus être utilisé comme objet ou ressource (seulement pour leur fonction principale). Il existe donc de nombreux moyens de faire "tourner" sa main, ce qui lisse plutôt bien le hasard. De plus, à 3 joueurs et encore plus à 4, on fera plusieurs fois le tours de la pioche, ce qui nous permettra d’avoir une petite idée des cartes présentes. L’ensemble de ces éléments fonctionne à merveille et Pfister a réussi à trouver un bon équilibre entre hasard et choix de cartes.
Et comme si ça ne suffisait pas, il a créé un mode Campagne. Si vous jouez en mode campagne, un petit scénario est mis en place. Ce scénario va légèrement modifier le plateau à l’aide de tuiles qui seront posées pour modifier certains détails. A chaque fois, il y aura une quête spécifique qui permettra au scénario de progresser. Si la quête est réalisée par un joueur, le scénario progresse à la fin de la manche, demandant parfois aux joueurs de faire des choix qui changeront les modifications de plateau pour la manche suivante. Le scénario est assez long, il faut une bonne dizaine de parties pour le faire entièrement. Il est très varié : les joueurs vont croiser des personnages qui feront apparaître de nouvelles cartes dans la pioche, certaines quêtes pourront faire apparaître de nouvelles villes,... Ca a l’avantage de casser les habitudes de jeu, certaines stratégies pouvant être légèrement renforcées ou, au contraire, affaiblies. Et comme ces paramètres changent à chaque partie, le jeu évolue constamment.
Le système de "sauvegarde" du scénario est simple et il est donc très facile, lors d’une prochaine partie, de le reprendre. Comme le scénario est simple, même si vous jouez avec des joueurs différents, vous pouvez parfaitement leur expliquer en 2 minutes les tenants et aboutissants et poursuivre la campagne. Si vous arrivez au bout, vous pouvez en commencer une nouvelle. Comme les choix des joueurs, aussi bien au niveau scénaristique que stratégique, impactent fortement l’évolution de la campagne, vous pouvez être amené à avoir des choses très différentes d’une campagne à l’autre. Ça donne une variété dans les parties très importantes tout en étant très facile à intégrer. Une très belle idée qu’on devrait retrouver dans d’autres jeux (elle fait
furieusement pensé au système Fabulosa de Friedemann Friese où les éléments changent à chaque partie, mais où chaque partie reste indépendante).
Le jeu dispose aussi d’un mode solo, où on affronte un "automate" qui avance et fait certaines actions en fonction d’un tirage de cartes. L’automate impose donc un rythme à la partie et gagne beaucoup de points lors du décompte final grâce à un système de majorité (sur les quêtes, les upgrades de bateaux et la piste exploration). Son jeu reste assez simple à gérer ce qui permet de se concentrer sur sa propre stratégie. Le deck de cartes qui fait progresser l’automate change à chaque partie, ce qui va donner un comportement différent qui demandera de s’adapter. Comme le deck est fixe lors d’une même partie, quand on en a fait le tour, on sait ce qui nous attend. Ça rend assez bien le comportement d’un adversaire, un peu flou au départ, puis plus prévisible quand il a commencé à mettre en place sa stratégie. Il faut compter environ une heure pour ces parties solo.
Conseils tactiques et stratégiques
Je dirai qu’il existe 5 grandes voies stratégiques : espion, cartes, exploration, quête et combat. L’ultra spécialisation parait une mauvaise idée et on aura souvent une voie principale soutenue par d’autres(s). Le mélange est assez subtil à trouver et savoir profiter de bonnes opportunités peut s’avérer payant.
Le deck A (celui d’où on reçoit sa main de départ) contient les cartes pour chacune de ces stratégies : les espions de base, dont les explorateurs. Les spécialistes : marin pour les combat, les traqueurs pour les quêtes, les "maçons" pour les cartes.
On y trouve aussi les villages conquis qui apportent le jeton "Maison" et les ports qui apportent le jeton "Ancre". Les 3 autres jetons sont donnés par des espions.
Votre main de départ va orienter votre jeu, mais comme elle tourne vite, il ne faut pas trop s’y attacher. Si rien ne vous enchante, ce n’est pas très grave.
Il vous faudra cependant anticiper votre premier coup pour conserver une carte avec la marchandise de la première ville où vous irez pour pouvoir faire la livraison (il serait dommage de louper cette première livraison).
Pour les upgrades, lors de votre première partie, je vous conseille de partir sur celui à 5 doublons, qui permet de gagner de la souplesse.
Les "maçons" qui réduisent le coût des cartes de 1 paraissent très intéressants lors des premières parties. Attention cependant, ils peuvent beaucoup ralentir votre début de partie. Ils restent aussi intéressant un plus tard dans le jeu.
En début de partie, on peut facilement manquer d’argent. Les moyens les plus simples d’en avoir sont : l’upgrade à 5 doublons, la première case de la piste d’exploration à 3 doublons et le premier combat à 4 doublons (le second en rapporte 3).
Surveillez bien vos adversaires pour anticiper les quêtes qui les intéressent (et ne pas chercher à récupérer les cartes nécessaires pour se rendre compte que ce n’est pas vous qui la récupérerez) et le rythme avec lequel ils avancent : éviter d’être surpris par la fin de manche et essayer de voir combien d’action ils vous restent pour bien les planifier.
N’oubliez pas qu’un espion non utilisé rapporte 2 points.
Les combats apparaissent très fort lors des premières parties. Ils restent une bonne source de points, mais ils est relativement facile de "profiter" du travail des autres joueurs pour grappiller des points sur les nations qu’ils soutiennent.
N’oubliez pas que vous posez une carte en fin de manche, avant de recevoir vos revenus (pas la peine de faire une action de village juste pour ça).
L’ordre de déblocage des upgrades est complètement corrélé à votre stratégie : mettez bien en adéquation les deux et assurez vous de ne pas commencer un déblocage peu utile pour vous (typiquement, la main à 6 cartes n’est pas indispensable, elle dépend de votre stratégie).
N’oubliez pas que pour récupérer la couronne, qui valorise plusieurs cartes, il faut soit un bâtiment de prestige, soit le gouverneur. Dans les 2 cas, ça vous coûtera 20 doublons. Mais il est souvent plus intéressant de prendre autre chose que la couronne avec le gouverneur (car, comme vous prendrez très certainement un bâtiment de prestige, vous finirez par l’avoir, ce qui est moins sûr avec l’"Ancre" ou la "Maison").
Public
Maracaibo s’adresse clairement à un public d’initiés, prêt à passer plusieurs heures sur un jeu exigeant aux choix multiples. Chaque élément du jeu est assez exigeant, rendant son accessibilité à des joueurs moins habitués réellement difficile.
Conclusion
Avec ce nouvel opus, Alexander Pfister confirme son statut d’auteur majeur d’eurogames exigeants. Reprenant plusieurs idées déjà explorées dans ses précédents jeux tout en ajoutant de nouvelles idées intéressantes et liant le tout dans un thème qui fonctionne plutôt bien pour un jeu du genre, l’auteur nous sert un jeu d’un très grande qualité. Exigeant, varié, proposant de nombreuses voies stratégiques et offrant un mode campagne permettant de démultiplier une durée de vie déjà énorme, Maracaibo s’impose déjà comme un incontournable. Un jeu à essayer si vous êtes amateur d’eurogame !