Le jeu

Aux environ de l’an 1000 ap JC, les joueurs jouent le rôle de princes qui tentent de gagner du prestige en gérant au mieux leurs provinces et en résistant aux divers événements qui jalonnent l’année chinoise. Au milieu des épidémies et autre sécheresse, serez vous capable d’éviter les calamités et de devenir le prince le plus en vue de la région ?

Comment ça marche

Le jeu est divisé en 12 tours représentant les 12 mois de l’année. Au début de la partie, on détermine aléatoirement l’ordre des événements qui frapperont les joueurs entre le 3° et le 12° tour. Il n’y a aucun événement lors des deux premiers tours.

Chaque joueur commence avec 2 palais de 2 étages et 2 personnages différents, ainsi que 6 yuan. Chaque tour est divisée en 4 phases :
- Action des joueurs
- Choix d’un personnage
- Événement
- Décompte du tour

Action des joueurs :
Les 7 actions disponibles sont réparties en autant de groupes qu’il y a de joueurs. Le premier joueur choisit un groupe et effectue l’une des actions du groupe. Les joueurs suivants font de même, mais s’ils choisissent une action appartenant à un groupe déjà choisi, ils doivent payer 3 yuans. Les actions permettent de récupérer de l’argent, des sacs de riz, des fusées d’artifice, de construire des étages de palais, d’acheter un privilège, de gagner des points de victoire ou d’avancer sur la piste d’initiative. La plupart de ces actions donnent un élément du type considéré et peuvent être amélioré si vous possédez les personnages correspondant. Par exemple, avec l’action construction, vous construisez un étage de palais plus un étage par maçon que vous hébergez.

Choix du personnage :
Chaque joueur possède 11 cartes personnages, 9 pour chacun des 9 personnages et 2 jokers qui seront joués lors des 11 premiers tours. Chaque joueur joue une carte, prend l’un des personnages correspondants et le place dans l’un de ses palais s’il a de la place. Chaque palais, limité à 3 étages, peut accueillir autant de personnages que son nombre d’étages. De plus, le personnage choisi permet d’avancer sur la piste d’initiative qui détermine l’ordre du tour. Plus un personnage est puissant, moins il fait progresser sur cette piste.

Evénement :
On applique l’événement du tour en cours. La plupart des événements Attaque mongolesont néfastes aux joueurs et leur font perdre des personnages sauf s’ils peuvent "payer" pour les contrer (il faut du riz pour contrer les sécheresses, des médecins contre les épidémies, de l’argent pour payer le tribut à l’empereur...).

Décompte :
Les joueurs gagnent des points pour leurs palais, privilèges et courtisanes qu’ils possèdent.

On commence alors le tour suivant. Après le 12° tour, on procède à un décompte final qui prend principalement en compte les personnages encore présent chez le joueur. Celui qui cumule le plus de points de prestige remporte la partie.

Critique

Un jeu de Stefan Feld chez Alea, je connais, c’est Notre Dame ! Ah, tiens, non ? Bizarre, le même auteur et le même éditeur s’associent à 6 mois d’intervalle pour sortir un jeu. C’est rare, mais reste à savoir s’ils ont réussi à faire aussi bien, parce que Notre Dame était déjà plutôt réussi.

L’année du dragon est un jeu totalement inclassable : pas de placement, pas d’enchères, pas de combats, pas vraiment de gestion, en plus, un plateau qui ne sert pas vraiment pour le jeu et pas de plateau perso !!! C’est quoi ce jeu, alors ? On est en droit de se poser la question, et la réponse est en partie donné par cette petite phrase de Confucius qui se trouve sur la boite : "Celui qui ne prévoit pas les choses lointaines, s’expose à des malheurs prochains...". Le but va en effet être d’anticiper les événements à venir pour pouvoir conserver ses personnages et continuer à les utiliser pour gagner un maximum de points.

Ce principe d’événements néfastes rappelle évidemment la peste de Notre Dame, sauf qu’il est encore plus poussé ici. Chaque

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Palais de 3 ?tages contenant 2 personnages

événement est d’une nature différente et nécessite de mettre en œuvre différents moyens pour les gérer. Il faut donc constamment se réadapter, surtout que chaque événement existe en 2 exemplaires qui obligent à conserver certains des éléments qui permettent de se défendre pour résister à l’autre qui n’arrivera peut être qu’en fin de partie. Et comme il n’est pas évident de récupérer un personnage perdu (puisqu’on ne peut engager qu’un seul de personnage de chaque type si on ne compte pas les deux jokers), il faut gérer au plus serré pour s’en sortir et éviter de perdre trop de points.

L’autre point fort de L’année du dragon, c’est la multiplicité des manières de gagner des points de victoire et l’équilibre de ces moyens. Privilèges, nécessitant de l’argent (donc affaiblissant le joueur pour l’impôt et les choix d’action), courtisane (mauvaise en initiative mais rapportant à tous les tours), savant (gros points mais obligeant à prendre une action et donc à ne pas faire autre chose), multiplicité des palais (plein de place pour les personnages mais plus de riz à donner lors des sécheresses), décompte final (obligeant à sauver un maximum de personnages au cours de la partie), il existe beaucoup de manières de scorer, souvent en allant chercher des points dans plusieurs de ces domaines. Mais, le gros problème du joueur, c’est qu’il n’a qu’une seule action par tour plus un choix de personnage qui va lui permettre d’influer sur le nombre de joueurs qui pourront choisir une action avant lui. C’est ce petit nombre d’actions qui oblige les joueurs à anticiper la suite d’événements pour ne pas être pris de cours lorsque les événements les plus néfastes se produisent. La tension est donc permanente, puisque la moindre erreur d’anticipation peut être fatale.

La piste d’ordre du tour est l’une des très bonnes idées du jeu, obligeant les joueurs à choisir entre posséder des personnages puissants ou à jouer plus tôt dans l’ordre du tour. Le génie du jeu est de réussir à faire qu’aucun choix ne soit foncièrement meilleur qu’un autre. On peut gagner en étant devant comme en étant derrière. En étant devant, on choisit son action, mais on perd en qualité de personnages, en étant derrière, soit on perd en choix d’action (en essayant d’avoir une bonne variété de personnages pour avoir toujours un choix correct), soit on perd des actions pour récupérer beaucoup d’argent (grâce à des collecteurs) et pouvoir choisir l’action qui nous plait en payant. Tout ceci participe du plaisir de jeu et du suspense présent jusqu’au bout entre joueurs de même niveau.

En plus d’anticiper les événements, les joueurs cherchent à anticiper les actions adverses, soit pour choisir une action qui gênera les autres joueurs s’ils sont en tête à l’initiative, soit pour s’adapter aux choix adverses pour ne pas payer à chaque fois lorsque l’on joue derrière. Dans ce cas, on essaiera souvent d’avoir un timing différent dans l’anticipation des événements pour ne pas avoir à choisir les mêmes actions aux mêmes tours (par exemple, lors d’un tour de sécheresse, beaucoup de joueurs veulent du riz, il peut donc être intéressant de l’avoir pris avant).

Tout cela donne un jeu très tendu, où chaque action doit être mûrement réfléchie pour ne pas mener à la défaite. Cependant, le nombre limité d’action et le fait d’être obligé de faire certains choix à certains moments en fonction de sa stratégie donne un jeu fluide où l’on attend peu son tour. La suite d’événement changeant à chaque partie, de même que le couple de personnages avec lequel on commence, donne une bonne durée de vie au jeu. De plus, comme il n’est pas permis de choisir le même couple de personnages qu’un autre joueur en début de partie, on ne peut pas jouer des stratégies stéréotypées, il faut s’adapter à ses personnages et à la suite d’événements ce qui confère au jeu une très bonne durée de vie.

L’année du dragon s’avère donc un jeu réussi, très bien huilé, plutôt original, certainement l’un des tous meilleurs de cette année ludique pourtant exceptionnelle. Un jeu à découvrir, très certainement.

Conseils tactiques et stratégiques

- Une partie se gagne à plus de 100 points. JokerOn peut atteindre des scores de 110 ou 120 points.
- Il faut savoir "accepter" de subir des événements pour mieux résister à d’autres. Chercher à ne subir aucun événement est souvent néfaste, car ce ne rapporte pas de points. Le seul intérêt est de suivre cette ligne pour avoir beaucoup de personnage à la fin.
- Lors de la phase de choix des personnages, prenez en compte vos besoins, mais aussi les impératifs adverses et la place que vous souhaitez atteindre dans l’ordre du tour.
- N’oubliez pas que vous pouvez toujours passer votre phase d’action pour refaire votre pécule à 3 yuans.
- Choisir une action qui vous intéresse moins (mais qui reste rentable), pour ralentir un adversaire peut être un très bon choix.
- N’oubliez pas que si vous n’agrandissez pas vos palais de départ, voues n’aurez plus de place pour le personnage du 3° tour.
- Lorsque vous prévoyez votre tour, n’oubliez pas que l’enrôlement se passe avant les licenciements dûs à l’événement.
- Ne vous précipitez pas si vous prenez du retard au score, vous pourrez gagner plus de points sur la fin, si vous tentez d’accélérer trop vite, vous risquez de subir trop lourdement des événements.
- N’oubliez pas qu’il y a quand même 6 tours moins menaçants : les deux premiers tours, le feu d’artifice et, dans une moindre mesure, l’attaque mongole qui ne fait perdre qu’un seul personnage au maximum.
- Les feux d’artifice peuvent rapporter beaucoup de points, mais si vous devez dépenser trop d’actions pour y arriver, cela se révélera néfaste à long terme.
- L’événement qui surprend le plus souvent les joueurs est la sécheresse, il faut bien penser à prendre ces riz en avance, le tour même tout le monde se rue dessus et il ne faut donc pas manquer d’argent à ce moment là si on n’a pas de riz ou si on n’est pas en tête à l’initiative.
- Il est possible d’acheter dès le premier tour un double privilège qui rapportera 24 points sur la partie. Cela vous ruine, il faut donc bien peser le pour et le contre, mais ça peut s’avérer très rentable.
- N’oubliez pas que les personnages peuvent cumuler leurs pouvoirs, il peut être très utile d’avoir plusieurs maçon ou plusieurs collecteurs d’impôts en début de partie ou plusieurs savant en fin de partie. - L’action "Initiative" est souvent délaissée par les joueurs, mais si vous êtes seuls dessus, elle peut rapidement se révéler très rentable, en vous offrant souvent la possibilité de jouer premier.

Public

L’année du dragon est un jeu assez exigeant qui nécessite un peu d’expérience pour être apprécié, ce qui en fait un jeu plutôt adapté pour un public d’habitués. Cependant, la relative simplicité de ses règles ainsi que la rapidité des parties fait qu’il est à même de séduire un public à la recherche de jeux un peu plus costauds.

Conclusion

Des règles relativement simples, des mécanismes plutôt originaux, un système où l’on se bat autant contre le jeu que contre les autres joueurs, une pluralité de stratégies viables, des choix cornéliens tout au long de la partie et tout ça dans une durée comprise entre 60 et 90 minutes, L’année du dragon est incontestablement l’une des plus grosses réussites de cette année, Alea et Feld réussissant l’exploit de publier un jeu encore supérieur à Notre Dame à quelques mois d’intervalle. Incontestablement une bonne nouvelle pour les amateurs de jeux accessibles mais profonds, deux titres incontournables même si ma préférence va, comme vous l’aurez compris, à L’année du dragon.