Le jeu

Le monde évolue. Aujourd’hui, les machines peuvent faire le gros du travail. Ce qui permet de libérer du temps libre pour tout le monde, si on partage le travail qui ne peut pas être délégué aux machines. Saurez-vous créer une ville autonome en faisant travailler un minimum de monde ?

Comment ça marche

Dans Futuropia, vous commencez la partie avec 3 habitants dans votre zone de jeu, 2 "machines" de production de nourriture et une pour la production d’énergie. A chaque tour, vous devez réaliser l’une des 5 actions du jeu :
- Acheter une Production de nourriture et produire de la nourriture
- Acheter une Production d’Energie et produire de l’énergie
- Récupérer des subventions
- Acheter des robots pour automatiser votre production et payer la consommation énergétique de votre lieu
- Faire venir des habitants sur votre lieu, éventuellement en achetant des appartements pour les accueillir, puis les nourrir

Chaque joueur a 5 cartons devant lui, correspondant aux 5 actions. Lorsque vous réalisez une action, vous retournez le carton correspondant face cachée. A votre tour, si vous voulez réaliser une action "cachée", vous payez d’abord 1 ressource par action non utilisée (encore visible).

Lorsque des nouveaux habitants arrivent, vous devez les loger, soit dans des appartements vacants, soit en achetant des nouveaux appartements, qui peuvent consommer de l’énergie. Ces habitants sont mis au travail (pour faire fonctionner les machines) si nécessaires. S’il y en a plus que la main d’œuvre demandée, ils peuvent consacrer leur temps aux loisirs, ce qui est le but du jeu.

On continue comme ça jusqu’à ce que toutes les "machines" de production d’énergie ou de nourriture ait été acheté ou lorsqu’un joueur a 25 habitants dans ses lieux de vie. On compte alors les points : 5 points par habitant qui n’ont pas besoin de travailler et quelques points résiduels, pour la surproduction principalement.

Critique

Le thème de Futuropia est plutôt dans l’air du temps, mais il faut bien avouer qu’il ne transpire pas quand on joue. Même si la disposition des meeples sur les plateaux et les illustrations permettent de bien voir nos habitants "buller".

On reste devant un jeu de gestion "à l’allemande", plutôt rapide (entre 60 et 90 minutes la partie) qui est assez déroutant au premier abord. En effet, la mécanique du jeu "nous prend par la main", en nous guidant tout au long de la partie. Prendre de l’argent, produire de la nourriture, récupérer des habitants, produire de l’énergie, récupérer des robots. Et on recommence. A priori, rien de bien exaltant.

Mais ce serait mal connaître Friese, qui ne nous a pas habitué à des jeux aussi insipides. Comme toujours chez l’auteur aux cheveux verts, la subtilité est dans les détails. Pour Futuropia, ils sont au nombre de 3. Le premier, c’est évidemment la possibilité de ne pas suivre ce rythme des 5 actions. Il a beau paraître inéluctable tellement chaque étape est essentielle, c’est loin d’être le cas. Vous allez devoir trouver votre propre tempo, pour imprimer votre cadence de jeu et ne pas vous laisser emporter par le tempo monotone et sans avenir que le jeu voudrait vous imposer.

Le deuxième détail, ce sont les emprunts. Lors des premières parties, ils sont souvent délaissés. Là encore, ils sont très bien pensés : vous pouvez emprunter 5 thunes quand vous voulez. A chaque fois que vous "réactivez" vos actions, vous payez 1 d’intérêt, puis vous pouvez rembourser. Avec l’expérience, vous jouerez beaucoup plus avec. J’ai déjà vu des joueurs avec plus de 10 emprunts sur le dos. Ils sont assez importants, car ils sont au cœur du rythme dans le jeu. De base, c’est avec les subventions que vous récupérez de l’argent. Mais c’est une action de le faire. Or, si une machine ou un appartement vous semble crucial pour votre développement, vous pourrez être intéressé pour le prendre tout de suite, avant qu’il ne disparaisse. Et comme emprunter n’est pas une action, ça permet de prendre le bon élément au bon moment. Et parfois, si vous avez déjà utilisée l’action correspondante, vous pouvez même la réactiver avant d’avoir récupérer les subventions. Ça coûte très cher, mais ça peut s’avérer rentable.

Le dernier élément qui lie un peu les deux précédents, c’est la monnaie. En effet, dans le jeu, on paye en monnaie sonnante et trébuchante nos achats. Mais pas le reste ! Les remboursements d’emprunt, les intérêts et la réactivation des actions peuvent se payer en nourriture ou en énergie. Ce point là est crucial et permet de jouer sur de nombreux aspects. En effet, vous pouvez emprunter pour récupérer du cash mais rembourser en utilisant votre surproduction. Cela entraîne un jeu autour des flux financiers qui va être au cœur des réflexions des joueurs. Car, dès lors, la production peut vous permettre d’avoir une certaine liberté au niveau de vos achats en vous permettant d’utiliser vos actions de production un peu comme des actions de subvention. Et, en produisant très fort, vous pouvez emprunter beaucoup, car vous arriverez à rembourser à terme.

Un autre élément assez surprenant dans le jeu, c’est le marché des machines. Il y a toujours 2 machines en vente sur chaque marché (Nourriture et Énergie). La machine la moins chère est à gauche, la plus chère à droite. Si vous achetez la machine de droite, on déplace un curseur qui rend les machines de droite plus chères et celles de gauche moins chères. Si toutes les machine de droite sont achetées, on se retrouve avec une nouvelle machine, très cher, à droite. Par contre, si toutes les machines de gauche sont achetées, le curseur est remis à 0, les machines de droite passent à gauche et une nouvelle machine (plus performante et plus chère) arrive sur le marché comme nouvelle machine de droite. Ce système est assez vicelard : les bonnes machines deviennent de plus en plus cher, mais les moins bonnes deviennent très bon marché. En début de partie, on se retrouve à acheter les machines intéressantes qui vont lancer la production. Mais, il peut arriver que plusieurs joueurs se retrouvent intéressés par les machines de droite, ce qui entraîne une flambée des prix. Et un phénomène assez particulier se met alors en place : les machines de gauche peuvent se retrouver délaisser. En effet, si elles sont achetées, le curseur va être remis à 0, ce qui va entraîner une baisse des prix sur les bonnes machines. Et les joueurs peuvent donc se retrouver à choisir entre une machine très chère mais plutôt intéressante ou une machine moins intéressante mais presque gratuite. MAIS, et c’est là toute la subtilité de la situation, acheter la machine de gauche rendra les bonnes machines beaucoup moins cher pour les joueurs suivants. De vrais gros dilemmes en perspective.

Les choix sont toujours complexes : au niveau des machines, on a à la fois la production de la machine, le nombre d’ouvriers nécessaire à son fonctionnement, le nombre d’ouvriers qui peuvent être remplacé par des robots, et, évidemment son coût. Côté appartement pour accueillir les habitants, c’est la même chose : nombre de places disponibles, mais aussi consommation énergétique, nombre de points de victoire qu’ils peuvent rapporter et, évidemment, le coût. Vous devez essayer de choisir au mieux, en fonction de votre stratégie mais aussi de la rareté de certains appartements. Il n’est pas rare de manquer de grands appartements en fin de partie, ce qui peut vous gêner pour aller chercher les derniers habitants. Il s’agit d’un aspect très important du jeu.

Futuropia offre donc une palette de choix assez importante, en tout cas beaucoup plus large que ce que l’ont pourrait croire au début. Les joueurs doivent constamment observer le marché, les opportunités des autres joueurs et les options qui s’offrent à eux. Le différentiel entre les joueurs découvrant le jeu et ceux ayant 3-4 parties à leur actif est souvent assez net : là où les joueurs débutants vont jouer "dans les clous", sur le chemin proposé par le jeu (faire les 5 actions, de pas trop emprunter pour ne pas avoir trop d’intérêt à payer,...), les autres seront beaucoup plus "dynamiques" dans leur jeu en essayant de sortir du rythme pour, à la fin, avoir plus d’habitants inactifs dans leur zone de jeu. Car il s’agit bien là de la finalité. Évidemment, la trame générale est la même à chaque fois : construire des appartements, produire de la bouffe pour nourrir les habitants qui arrivent, automatiser pour libérer les habitants du travail et produire de l’énergie pour tout ça. Mais, les chemins pour atteindre cette finalité sont nombreux et il existe de multiples façons d’y arriver.

Comme on a pu le voir, l’interaction n’est pas très forte dans le jeu. Cependant, il faut rester très vigilant sur les choix des autres joueurs, pour ne pas se faire prendre la bonne tuile. Le jeu est une course, et vous devrez donc faire très attention aux autres pour ne pas être surpris par la fin de partie.
Le jeu fonctionne bien de 2 à 4 joueurs, même si, évidemment, le côté "course" sera plus fort à 4 joueurs. Les différents éléments du jeu sont plus rares lorsqu’on est moins nombreux, ce qui maintient la tension. L’interaction directe étant assez faible, le jeu à 2 reste intéressant.

Pour augmenter la durée de vie, de nombreuses options sont proposées dans le jeu : ne plus avoir d’appartement de départ mais augmenter l’offre de bâtiments disponibles, avec des appartements à "pouvoir" et laisser les joueurs choisir comment ils commencent la partie. Cette variante fait exploser la variété des parties et stratégies possibles, tout en rendant l’argent plus tendu, ce qui force un peu plus les joueurs à aller vers les emprunts. Le jeu propose aussi 9 variantes modifiant plus ou moins fortement les règles pour plus de variété.

Conseils tactiques et stratégiques

- Soyez prêt à profiter des bonnes affaires, sur les machines, surtout en début de partie. Quand vous achetez une machine, faites attention à ne pas laisser de trop belles opportunités aux adversaires.
- N’hésitez pas à emprunter. C’est le seul moyen d’avoir plus d’argent quand vous voulez. Ne cherchez pas à rembourser vos emprunts à tout prix en début de partie. Ça peut attendre.
- N’oubliez pas que vous n’avez droit qu’à 7 machines en tout. Pour les débutants, la répartition finale va plutôt vers 4 à nourriture et 3 à énergie. L’inverse est possible, ou bien 5 nourriture et 2 énergie, mais 4/3 est la plus simple quand on découvre le jeu.
- Faites attention à la fin de partie. Si la fin "aux machines" se voit venir, on peut se faire surprendre par celle aux 25 habitants chez un joueur. Dès qu’un joueur a 20 habitants, il peut finir le jeu quand il souhaite.
- En règle générale, vous finirez la partie entre 19 et 26 habitants. Il faudra alors les nourrir et votre production devra donc atteindre cette valeur.
- Si vous atteignez une production de nourriture ou d’énergie correspondant à vos besoins de fin de partie, vous n’avez plus besoin d’acheter de nouvelles machines. Vous pouvez cependant produire, surtout si vous avez des emprunts, ça permettra de les rembourser. Acheter des machines, si vous avez du cash pourra cependant rapporter des points grâce à la surproduction finale ou si la nouvelle machine a besoin de moins d’ouvriers pour fonctionner.
- Une partie se gagne en plus de 100 points. Il faudra souvent dépasser les 110 pour espérer l’emporter.
- En fin de partie, n’oubliez pas que chaque action non utilisée vaut 3 points. Si la jouer ne rapporte pas 3 points, autant la laisser de côté.
- N’oubliez pas que vous ne pouvez pas avoir plus de 5 appartements vides. Prendre très tôt des tuiles avec de nombreux appartements peu donc être risqué et vous obligera à prendre très tôt beaucoup d’habitants. Ça rendra votre partie plus tendue sur la nourriture, mais, vous pourrez plus facilement mettre la pression sur les autres pour la fin de partie.
- N’oubliez pas que certains appartements rapportent des points de victoire. Ce n’est pas une priorité en début de partie, mais ça pourrait faire la différence

Public

Futuropia fait partie de ces jeux assez accessibles, mais terriblement exigeant et punitif. Il s’adresse donc plutôt à un public d’initiés, ou à de gens ayant déjà une pratique du jeu de société et souhaitant aller plus loin, vers des jeux un peu plus exigeants.

Conclusion

Comme souvent, Friedemann Friese nous offre avec Futuropia un jeu plutôt accessible et rapide, mais terriblement exigeant, aussi bien dans sa phase de découverte où il est possible de complètement passer à côté si on ne voit pas les subtilités, mais aussi ensuite si on n’arrive pas à décrypter l’ensemble des options offertes. Les variantes proposées assurent une excellente durée de vie à ce jeu atypique qui essaye de montrer qu’un monde de machines peut être acceptable si la richesse produite par ces dernières est distribuée entre tous et pas seulement dans les mains de quelques-uns. Ce futur utopique est devenu Futuropia dans l’esprit de Friedemann Friese.