Le jeu
Début du XX° siécle, Mexique. Porfirio Diaz dirige le pays d’une main de fer. En tant que propriétaire terrien, vous essayez de vous enrichir. Mais la junte militaire et les Etats-Unis ont des vues sur le pays et la récession menace. Dans ce contexte troublé, saurez-vous tirer votre épingle du jeu pour prendre la place de Diaz ?
Comment ça marche
Pax Porfiriana est un jeu de cartes. Au centre de la table se trouve 2 rangées de 6 cartes. A son tour, un joueur peut réaliser 3 actions parmi 9 :
Prendre une carte au centre de la table : le coût varie de 0 à 16 en fonction de la position de la carte. Si c’est une carte Evénement, elle est déclenchée immédiatement.
Jouer une carte de sa main. Les cartes vont alors s’ajouter au "tableau" du joueur s’il s’agit d’usines ou de partenaires, permettront d’attaquer les autres joueurs, ou seront des troupes qui protégeront les usines du joueur ou extorqueront celles des adversaires. La plupart des cartes ont un coût pour être jouer.
Etendre ses propriétés pour générer plus de revenus
Utiliser ses troupes pour réprimer les travailleurs mécontents
Action de police pour ramener le calme dans les usines ou sortir de prison
Vendre une carte pour gagner quelques pesos
Acheter des cartes publiques, très chères et très puissantes
Améliorer le réseau de transport vers une usine
Spéculer pour "réserver" une carte du centre de la table : si un autre joueur prend la carte, il vous paiera son coût plutôt qu’à la banque.
Le jeu repose aussi sur le système politique. Il en existe 4 :
Pax Porfiriana : sous la coupe du dictateur, le système économique est florissant, les partisans du dictateur touche des pots-de-vin.
Interventionnisme US : le pays passe sous la coupe des USA. L’économie, surtout les banques, se portent à merveille, les troupes américaines peuvent intervenir plus facilement.
Loi martiale : la junte militaire contrôle le pays, l’économie reste solide, les actions de police devienne gratuite.
Anarchie : c’est le bordel, l’économie est fragile, les troupes peuvent se déplacer comme elles veulent.
Le changement de système politique intervient lorsque des troupes sont déployés ou lors de certains événements (cartes qui se trouvent au centre de la table et peuvent être achetées pour être déclenchées immédiatement). Le système politique varie donc assez souvent.
Pour finir certaines cartes rapportent des points de victoire. La plupart des cartes Attaque rapportent un point à l’agressé (il est possible de s’attaquer soi-même). Les points sont de 4 couleurs, correspondant aux 4 régimes politiques. 4 cartes Evénement, les Topple, sont placées dans la pioche en début de partie. Lorsqu’un joueur "achète" une telle carte, on procède à un décompte de points. Seuls les points du régime politique en cours sont pris en compte. Le but est de renverser le dictateur et de battre ce qu’on appelle la "coalition tripartite". On additionne les points des deux joueurs qui en ont le moins auquel on ajoute 2 (pour Diaz). Si au moins un joueur a plus de points que la coalition, il gagne. Si plusieurs joueurs ont plus de points, le plus riche l’emporte.
Critique
Acheter une boîte de Pax Porfiriana est un acte de foi : présenté dans une boîte plus petite que celle d’un Codenames, pour un prix presque 2 fois plus élevé, il y a de quoi se poser des questions. De plus, cette toute petite boîte annonce une durée de partie de 2 heures. Peut-on réellement faire un jeu intéressant de cette durée dans si peu de place ?
L’ouverture de la dite boîte surprend aussi : il n’y a pas un espace de libre, il serait difficile d’y faire entrer un pion de plus. Il s’avère que la quantité de matos correspond aux jeux de ce prix (on est proche de la quantité de matériel d’un Race for the Galaxy). Voyons alors ce que dit la règle pour voir si le jeu va tenir ses promesses.
Là, c’est un nouveau choc ! Si vous n’avez jamais lu un livret de règles de jeu édité par Sierra Madre, vous pourriez faire une attaque. Elle commence par une présentation du thème, puis des principes généraux du jeu. Ensuite, vient la description du matériel (mais on est déjà à la page 6 de la règle). Puis le déroulé de la partie. Mais avec des références à la première partie de la règle, qui contient des points
importants, parfois non rappelés ensuite (même s’il y est fait référence). La règle se termine par un glossaire, qui sera votre guide pendant la partie mais qui s’avère contenir des points de règles importants, expliqués nulle part ailleurs ! On ne va pas se le cacher, la première partie va être dure, très dure.
Surtout que l’ergonomie ne va pas vous aider. Pour vous donner un exemple, sur la carte ci-contre, vous trouvez le coût de la carte en haut à droite, mais le petit ovale bordé de vert derrière, est important. Vous avez l’effet spécial de la carte au milieu, avec un texte d’ambiance (inutile pour le jeu en lui-même) juste en dessous. Évidemment, le train en bas de la carte est important. Et le drapeau mexicain n’est pas là pour faire joli. Attention cependant, s’il avait été à gauche, plutôt qu’à droite, sa signification n’aurait pas été la même.
A ce stade de la présentation, vous devez vous demander pourquoi j’ai décidé de vous parler de ce jeu. En effet, pour l’instant, ce n’est pas très engageant, surtout que la dictature de Diaz, et les années qui suivent, au Mexique de 1898 à 1920 ne vous emballe peut-être pas. Et pourtant, le jeu a, malgré tout ça, de vrais arguments à vous proposer.
Pour commencer, à chaque partie, vous jouerez avec moins de la moitié
des cartes et, à l’exception des cartes pour renverser Diaz (les fameux Topple), elles arrivent dans un ordre totalement aléatoire. Cela assure un renouvellement incroyable au jeu. Aucune partie ne se ressemble. Évidemment, il y a une part de hasard inhérent à tout jeu de cartes, mais elle est ici exploité de manière très maligne. En effet, le système de Row (rangée de cartes qui défile devant les joueurs et dont le coût diminue au fur et à mesure de l’avancée de la partie, popularisé par Through the ages) de Pax Porfiriana fonctionne à merveille. Toutes les cartes qui se trouvent dans les mains des joueurs ont toujours été récupérées de manière publique. Donc, si un adversaire possède une carte Attaque, vous le savez et vous pouvez en tenir compte dans vos choix ultérieurs. Pas de mauvaises surprises suite à LA bonne carte piochée au bon moment.
L’autre écueil des Row, c’est l’arrivée de la nouvelle carte, qui peut énormément avantager celui qui la voit sortir. Pour pallier à ce problème, les auteurs ont utilisé un système de coût exponentiel : la carte au début de la Row coûte 0 à récupérer, la dernière arrivée coûte 16. Et 16, c’est vraiment énorme dans ce jeu. Donc, si le joueur veut récupérer la nouvelle carte, il le peut, mais ça coûte réellement très cher. Le jeu utilise aussi un système unique à double Row, ce qui laisse vraiment beaucoup de choix aux joueurs, même pour les cartes à faible coût : il y a 2 cartes à 0, mais les prendre toutes les 2 vous fait passer votre tour (en effet, la seconde carte prise dans le même tour coûte 2 actions au lieu d’une). A tout cela s’ajoute la géniale action de spéculation : la possibilité de poser un marqueur sur une carte pour que l’argent payé pour la récupérer vous revienne. De vrais dilemmes en perspective : car si payer 4 pour récupérer une carte peut être intéressant, les donner à un adversaire fait déjà moins rêver.
Toute la subtilité du jeu tient, ensuite, dans son système de décompte : ce principe de gagner des points de 4 sortes, correspondants au 4 types de gouvernement. Vais-je me spécialiser dans un type donné ? Mais il faut alors réussir à maintenir le plus possible le pays dans cette situation. Ou alors se diversifier, au risque d’être trop faible pour l’emporter. Cela donne une tension assez forte. En début de partie, les joueurs développent leur système économique, ce qui peut les amener à être plus fort sur tel ou tel secteur. De plus, votre personnage de départ
(l’hacendado) est plus fort dans deux systèmes politiques, ce qui peut aussi orienter votre stratégie. Le premier Topple ne peut pas arriver durant le premier tiers de la partie, ce qui laisse l’opportunité de se développer. C’est quand il arrive dans la Row que les choses sérieuses commencent. A partir de ce moment-là, il devient possible de gagner. Le système de décompte est assez vicelard : il faut être plus fort que la coalition tripartite, qui vaut 2 points + les points des deux joueurs les plus faibles dans le système politique actuel. Il n’est pas rare que les 2 joueurs les plus faibles soient à 0. Dans ce cas, 3 petits points suffisent à gagner. Les joueurs s’observent alors, essayant de voir qui peut l’emporter et comment l’en empêcher.
Le moyen le plus simple est encore de changer le système politique, mais ce n’est parfois pas suffisant, car le joueur pourrait ramener le pays dans le bon système. Un autre moyen consiste à attaquer l’un des joueurs "faibles" pour lui donner des points (on gagne des points quand on se fait attaquer) et ainsi renforcer la coalition tripartite, ce qui augmente le seuil de points nécessaires.
Vous aurez parfois une belle combinaison en main, qui vous permet à la fois d’aller chercher le point qui vous manque et en plus de changer le système politique. Vous priez alors pour que personne ne le remarque, la tension monte jusqu’à ce que vous arriviez à jouer votre tour. Un moment jouissif... ou pas, si vous avez oubliez une option chez l’un de vos adversaires.
Le dernier petit truc vicelard sur ces fins de partie, ce sont les points justement. Si un joueur a 3 points dans le bon système politique et qu’un autre en a 4, si c’est suffisant pour gagner, le vainqueur n’est pas forcément le joueur à 4 points. En effet, on estime qu’ils ont tous les deux les soutiens politiques nécessaires pour l’emporter, le vainqueur sera donc... le plus riche. Donc, si vous décidez d’acheter la carte Topple, il faut, après l’avoir payé, rester le plus riche si vous n’êtes pas le seul en position de gagner.
Pour finir à ce sujet, vous aurez peut-être remarqué qu’il y avait 4 cartes Topple, soit autant que le nombre de régime politique (dictature, interventionnisme US, loi martiale, anarchie). Et ce n’est pas un hasard. En effet, chaque Topple est lié à un système politique et si c’est ce système qui est en place au moment où le Topple est déclenché, Diaz est moins fort et n’ajoute qu’un seul point (au lieu de 2) à la coalition tripartite. Un petit sel supplémentaire car, évidemment, on ne sait pas dans quel ordre les Topple vont arriver.
Très clairement, ça entraîne une ambiance assez folle autour de la table. Chaque joueur tentant de tirer son épingle du jeu. Car, vous l’aurez compris, le nerf de la guerre reste l’argent. Il faut donc réussir à en
générer en développant de belles entreprises, ou en envoyant vos troupes extorquer les entreprises adverses. Tout ceci dépendra fortement du tirage de cartes : il faudra vous adapter à chaque partie, sauter sur les bonnes entreprises si elles sont rares ou, au contraire, attendre que leur coût baisse sur la Row si elles sont plus abondantes. Chaque partie aura un visage bien différent.
Surtout que la crise guette. En effet, les cartes événements, avec leur système Bull&Bear, peuvent faire entrer le pays en récession économique. C’est rare (1 partie sur 4-5 environ), mais quand ça arrive, ça fait très mal : les banques et les mines ne génèrent plus de revenus (les autres entreprises continuent à rapporter) mais, surtout, vous devez payer pour toutes les cartes que vous avez en jeu, sinon, vous les perdez. Et, évidemment, les joueurs peuvent tenter de faciliter l’arrivée d’une récession économique, surtout s’ils ont un jeu facile à maintenir en place lors d’une récession et que ce n’est pas le cas de leurs adversaires.
Le jeu demande donc une constante adaptation, aussi bien à l’arrivée des cartes qu’à la manière de les utiliser. Il est, par exemple, possible de payer des hommes de main pour déclencher une révolution dans vos propres plantations et ainsi passer pour un fervent défenseur de la liberté (ça rapporte des points de révolution, utile pour gagner quand le pays est en anarchie). Le jeu regorge ainsi de petites pépites à exploiter qui renforce la variété des parties et des choix qui en découleront.
Conseils tactiques et stratégiques
En début de partie, vous devez essayer de développer votre système économique. Pour ça, les ranchs et plantations, qui peuvent être agrandis sont une bonne idée car ils sont assez stables en terme de revenus, même en cas de récession.
N’oubliez pas que sous régime dictatorial, les points de loyauté font du revenu.
Les banques et mines offrent, en général, un bon rapport qualité/prix, mais n’aiment pas du tout l’anarchie et la récession.
Soyez attentifs aux cartes attaques prises par les adversaires : elles ne ciblent souvent qu’un district ou qu’un type d’usine. Évitez alors les cartes qui pourraient en être la cible.
N’oubliez pas que vous pouvez développer les liaisons des entreprises adverses, ce qui est aussi une source de revenus.
Les troupes, lorsqu’elles extorquent, sont aussi une source de revenus.
Beaucoup de partenaires offrent des avantages qui peuvent aussi soutenir votre revenu.
Si vous êtes à la traîne en thune, n’oubliez pas que vous pouvez vendre vos cartes en main. La Pax Porfiriana est le système politique le plus avantageux pour cela.
Si les troupes offrent de bons moyens de pression, n’oubliez pas que ce sont aussi les moyens les plus simples pour changer de régime politique : il est préférable de garder en main une troupe permettant de changer le régime vers un système qui vous est favorable.
Même si elles sont très chères, les cartes publiques sont un bon moyen de faire la différence en fin de partie. Gardez les à l’esprit.
N’oubliez pas que lorsque vous retournez votre hacendado, c’est une action définitive : vous ne retrouverez pas les 2 cubes de revenu et vous ne pourrez plus changer son orientation politique. Il est souvent préférable de ne le retourner que lors d’un Topple.
Rappelez-vous cependant que vous pouvez le faire pour sauver une troupe, mais vous serez alors obligé de choisir immédiatement son orientation.
N’oubliez jamais que vous pouvez vous attaquez vous-même pour gagner des points.
N’oubliez pas que, lorsqu’ils sont déclenchés, les événements entraînent des conflits de faction qui peuvent vous faire perdre des cartes.
Ne perdez pas de vue l’objectif final : essayez d’être toujours en tête sur au moins un scoring pour mettre la pression sur les autres joueurs lors de l’apparition des Topple.
N’oubliez pas que si personne n’arrive à renverser Diaz lors des 4 Topple, c’est le plus riche qui l’emporte. Si vous avez réussi à accumuler une belle fortune, vous pouvez essayer de contrôler le jeu pour empêcher quelqu’un de prendre le pouvoir aux points.
Public
Dotée d’une règle complexe à lire, d’une ergonomie peu claire et de parties assez longues (entre 1h30 et 2h30), Pax Porfiriana s’adresse très clairement à un public d’initiés souhaitant sortir des sentiers battus et découvrir de nouvelles sensations de jeu. La majorité du jeu se présente sous forme de pictogrammes, et, pour les cartes à texte, elles n’en ont généralement qu’une seule ligne. Comme toutes les cartes sont publiques, un seul joueur maîtrisant bien la langue de Shakespeare est suffisant.
Conclusion
Pax Porfiriana offre donc des sensations de jeu assez uniques, avec un thème magnifiquement retranscrit, sans tomber dans l’écueil de la partie toujours identique. Malgré tous ses défauts, je continue à y jouer régulièrement, car je n’ai aucun jeu qui se rapproche de lui. Il arrive à lier la puissance thématique de certains jeux à l’américaine tout en ayant une rigueur mécanique assez forte. Cependant, ils ne se rapprochent pas du tout des autres jeux qui ont déjà tenté de faire le lien entre les deux écoles. S’il n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains, et s’il est préférable de le découvrir avec un connaisseur, je vous le conseille vivement si vous voulez découvrir un jeu radicalement différent de ce à quoi vous avez l’habitude de jouer.