Le jeu
Le territoire des USA s’étend et, à la tête d’une petite ville, vous allez essayer de la faire grandir et d’attirer les habitants. Mais attention, les indiens ne voient pas votre expansion d’un bon oeil et pourrait bien la stopper. Hors-la-loi, saloon, mine d’or, chemin de fer, saurez-vous trouver le cocktail idéal pour obtenir les faveurs de Lincoln ?
Comment ça marche
Western Town se joue en 5 manches. Au début de chaque manche, on révèle une carte Lincoln, qui indique ce qu’il demande (exportation d’or, attractivité ou population). Puis, on ajoute 2 bâtiments que les joueurs pourront construire s’ils le souhaitent.
A chaque manche, vous devrez choisir entre 4 et 6 cartes Bâtiments (en fonction du développement de votre ville). Vous avez à disposition les cartes de tous les bâtiments que vous avez construit depuis le début de la partie.
Ensuite, le premier joueur joue l’une des cartes qu’il a sélectionnée et effectue l’action principale de cette carte. Puis, il choisit une 2° carte pendant que le deuxième joueur en choisit une. Ils révèlent leur carte simultanément et le premier joue et effectue l’action, puis le 2° fait de même. Le 2° joueur choisit une seconde carte pendant que le 3° choisit sa première. Et ainsi de suite jusqu’à ce que le dernier joueur joue une dernière carte tout seul.
On passe ensuite à la phase d’exploitation durant laquelle la fonction exploitation des cartes (en bas de la carte) va pouvoir être activée. Pour cela, il va falloir que votre voisin ait joué une carte que vous avez vous-même joué ou que vous avez encore en main. Dans ce cas, vous montrez votre carte et vous retournez la carte identique de votre adversaire face cachée. Vous gagnez le bonus exploitation de votre carte. Cette dernière n’est pas perdue et pourra resservir pour exploiter une autre carte. Durant cette phase, vous devrez aussi jouer une 3° et dernière carte.
Les actions des cartes permettent de construire de nouveaux bâtiments, de récolter du bois, de l’or ou de l’exporter vers les réserves d’or fédérales, de rendre votre ville attractive,...
Lorsque tout le monde aura passé, vous gagnerez le bonus indiqué en haut à gauche de vos cartes qui ont été jouées mais pas exploitées (ressources ou attrait principalement). Ensuite, on vérifiera qui satisfait au mieux les demandes de Lincoln révélées au début du tour, et ce joueur gagnera un foyer.
Après les 5 manches, les 3 éléments du jeu (Attrait, Or exporté et Population) rapportent chacun autant de point que le nombre de fois ou ils ont été demandé par Lincoln au cours de la partie. On y ajoute un bonus lié aux foyers et la valeur de chaque bâtiment pour déterminer le score de chaque joueur.
Critique
Western Town est un jeu assez atypique. La manière de jouer les cartes y est vraiment particulière et ressemble à La route du verre de Uwe Rosenberg, sortie à peu près à la même époque (par certains aspects, cela rappelle aussi Malédiction, beaucoup plus ancien. Le jeu repose vraiment sur ce mécanisme : jouer des cartes, puis exploiter celles des autres joueurs. Comme vous ne jouerez que 3 cartes à votre tour, les autres cartes que vous sélectionnerez (de 4 à 6 en tout) serviront soit de roue de secours en cas d’accroc dans le plan, soit pour exploiter les cartes des autres joueurs pour gagner quelques précieux bonus. Il faut donc lire le jeu adverse pour réussir à anticiper ce qu’ils vont faire pour choisir les bonnes cartes. De plus, vous essaierez aussi de choisir des cartes que les autres joueurs ont peu de chance de choisir, de façon à ne pas vous faire exploiter. Cela donne un début de manche toujours tendu, où chacun essaye à la fois d’élaborer ses plans et de prévoir ceux des autres joueurs. Le plan principal repose, surtout en début de partie, sur le choix du ou des bâtiments à construire à ce tour. Sachant que le bâtiment vient en main et pourra donc être joué (s’il n’a pas été construit lors de la dernière action) ou servir pour exploiter les bâtiments adverses.
Ce système d’exploitation est vraiment très malin et apporte une tension vraiment intéressante au jeu, à la fois, comme je l’ai écrit, sur le choix des cartes au début de la manche, mais aussi sur le timing du jeu. Car, les 2 cartes jouées lors de la première phase seront évidemment beaucoup plus vulnérables aux exploitations que la dernière. Et, comme à son tour, lors de la 2° phase, un joueur doit soit jouer, soit exploiter, soit passer définitivement, il est alors très intéressant de pouvoir exploiter. En effet, à chaque tour, tant qu’un joueur arrive à exploiter, il n’est pas obligé de jouer sa 3° carte. Plus il la jouera tard, moins elle aura de chance de se faire exploiter. Il n’est pas rare d’avoir la même carte qu’un autre joueur en main. Dès que l’un des deux jouera sa carte, l’autre l’exploitera (ce qui, en plus, ne l’empêchera pas de la jouer ensuite). Donc, plus j’attends, mieux c’est. Mais pour attendre, le seul moyen est d’exploiter. C’est une phase très intéressante, avec parfois des choix cornéliens (par exemple, quand on a le choix entre deux bâtiments à exploiter). Mais, vos possibilités d’action resteront limitées aux cartes choisies en début de manche. Ce moment est donc crucial.
L’autre bonne idée vient de la montée en puissance du jeu. Les joueurs comment avec 3 bâtiments (et donc les 3 cartes associées) déjà construits et 3 cartes spéciales. Il y a 5 bâtiments que les joueurs peuvent construire en début de partie (toujours les mêmes). Au début de la partie, on rajoute 2 bâtiments parmi 8 et 2 autres de ces bâtiments sont retirés de la partie (on sait qu’on ne jouera pas avec ceux-là). Au début de la 2° manche, on rajoute 2 autres bâtiments parmi les 4 restants, les 2 derniers sont retirés de la partie. Et pour finir, au début de la 3° manche, on ajoute 2 derniers bâtiments, un peu plus puissants, parmi 4 (les deux autres ne seront pas joués).
Chaque partie est donc assez différente, car les bâtiments disponibles et donc les manières de scorer, sont différentes à chaque fois. Il faut s’adapter à ce tirage qui apparait au fur et à mesure de la partie.
Cette mécanique qui veut que l’on dispose des cartes correspondant à ce que l’on a construit fait penser au mécanisme de deckbuilding introduit par Dominion->74 quelques années auparavant. Évidemment, il n’est pas du tout question de deck ici, on se construit plutôt une main de cartes. De manière générale, je préfère parler de pool-building maintenant, vu le nombre de jeux qui permettent
d’enrichir un pool (deck, main,...) quelconque. Ici, c’est vraiment très bien représenté, chaque construction de bâtiments donnant accès à de nouvelles possibilités d’action.
L’autre élément qui apparaît au cours de la partie, c’est Lincoln. Sur les cartes Lincoln, il y a 2 éléments parmi Or exporté, Population et Attrait (sauf une carte avec seulement l’or et une carte avec les 3). Les éléments sur la carte révélée en début de manche indique ce que Lincoln veut voir à la fin de cette manche, ce qui donne un petit bonus (un foyer, qui peut servir de prérequis à la construction de certains bâtiments et peut rapporter quelques points en fin de partie). Mais surtout, chaque fois qu’un élément apparaîtra sur une carte Lincoln, il scorera un point en fin de partie. Par exemple, si sur les 4 cartes Lincoln (on n’en pioche pas en début de 5° manche), l’or apparait 3 fois, chaque or exporté durant la partie rapportera 3 PV. Donc, en début de partie, on ne sait pas exactement ce qui va rapporter le plus de points. Il faut donc rester assez ouvert au niveau de sa stratégie. Le scoring complet est connu au début de la 4° manche, donc suffisamment tôt pour réussir à faire des ajustements si on le juge nécessaire.
Le dernier élément de tension, ce sont les indiens. Ils se trouvent au centre de la table, cernés par toutes ces villes qui s’étendent sur leur territoire. Lorsque qu’un joueur étend trop sa ville en direction des indiens, où s’il crée trop de richesse, il doit lancer un dé. Cela indique sir les indiens risquent d’attaquer. Le résultat du dé indique le nombre et la couleur des indiens qui apparaissent dans la zone de combat. S’ils sont trop nombreux, ils attaquent. Soit le joueur qui vient de lancer le dé, soit le joueur qui a le moins de calumets de la paix (ces derniers sont directement corrélés à l’attractivité de votre ville, plus vous avez de l’un moins vous avez de l’autre). Le joueur va alors pouvoir se défendre à l’aide de cow-boy qu’il aura enrôlé grâce à l’action de certains bâtiments. S’il n’a pas assez de cow-boy, les indiens détruiront un bâtiment (la carte n’est plus utilisable jusqu’à ce que le joueur le répare grâce à une action) ou tueront des habitants.
Ce mécanisme rajoute une pointe de hasard au jeu et pourra énerver les réfractaires. En effet, même lors du premier jet de dé, il existe une petite chance pour que le joueur qui l’a lancé se fasse attaquer. Et, en fin de partie, la perte en points si un gros bâtiment est détruit peut faire assez mal. Mais ça reste tout à fait contrôlable, on sait les actions qui peuvent provoquer de telles attaques et, lorsqu’on joue dessus, il est préférable d’avoir du cow-boy dans la ville.
Ça participe à la qualité du thème, qui est plutôt bien rendu dans le jeu, avec ces attaques d’indien, le développement de la ville au fur et à mesure de la partie,... Évidemment, on reste sur un eurogame à la mécanique bien huilée, mais le thème y est sûrement mieux respecté que d’habitude.
Le jeu est annoncé de 2 à 4 joueurs. Je ne suis personnellement pas très fan de la configuration à 2 joueurs, qui donnent un affrontement assez frontal et beaucoup moins de choix sur les exploitations. La configuration idéale me semble être à 3 joueurs, où l’ensemble des possibilités du jeu sont présentes. A 4 joueurs, le jeu reste très bon, mais il est plus long et, comme on ne peut exploiter que ses voisins, le gain en intérêt n’est pas énorme. Il est évidemment possible d’autoriser les joueurs à exploiter tous les adversaires, mais ça allonge encore la durée de partie.
Conseils tactiques et stratégiques
Au début de la partie, et contrairement à ce qui est indiqué dans les règles, je conseille que tous les joueurs commencent avec le même setup, c’est-à-dire qu’une seule carte Marshall soit pioché pour tout le monde plutôt que chaque en ait un différent. Après de nombreuses parties, ils ne me paraissent pas assez équilibré et le jeu offre suffisamment d’options pour que, même avec un setup identique, les choix des joueurs diffèrent dès le début de la partie.
Pour rester sur le chapitre des variantes, nous ne donnons plus le rôle de grand manitou. C’est l’ensemble des adversaires qui choisissent où tapent les indiens en cas d’attaque. Cela évite, principalement que le Grand Manitou choisissent où il se fait attaquer, ce qui est un avantage trop puissant, surtout qu’être dernier n’est pas vraiment un inconvénient (on compense le fait d’exploiter en dernier par le fait de voir les cartes jouées par les autres joueurs et donc de pouvoir s’y adapter).
Ce sont deux changements mineurs, mais qui peuvent éviter un peu de frustration inutile.
En début de partie, si vous n’avez pas pioché le Marshal qui donne le 2° Carpenter, vous devrez vous poser la question de sa construction. En effet, pouvoir construire 2 bâtiments, ou garder 1 Carpenter en main pour exploiter ceux que les autres joueront certainement reste assez fort. Il est possible de s’en passer, mais ça demande de l’expérience.
L’autre bâtiment qui est intéressant en début de partie est la Gunsmith qui permet d’enrôler des cow-boy facilement. Son exploitation est intéressante si beaucoup de joueurs ont besoin de cow-boy.
L’emplacement de votre premier bâtiment n’est pas à négliger. Soit une case rapportant des ressources en extérieur de ville. L’intérêt est évidemment de pouvoir accumuler des ressources et de laisser le centre-ville libre pour y placer des bâtiments à défendre (le centre-ville est plus facile à défendre contre les indiens. La deuxième option est de construire le centre-ville le plus vite possible, même avec des bâtiments "faibles", pour avoir très vite le choix entre 5 cartes en début de manche et ainsi avoir plus de chance d’exploiter. Les 2 choix sont valables, j’ai, personnellement une petite préférence pour le 2°.
Lors d’une première partie, la stratégie Bank est un bon choix : elle offre des objectifs clairs tout au long de la partie, puisque vous devrez construire des foyers pour avoir le pré-requis de construction de la banque et l’Or exporté est l’item qui rapporte le plus de points en moyenne. Vous devrez aussi enrôlé du cow-boy, l’exportation d’or étant dangereuse vis-à-vis des indiens.
La répartition des symboles sur les cartes Lincoln fait que l’Or exporté est ce qui rapporte, en moyenne, le plus de points, devant
l’Attrait. La Population est le symbole le moins présent, mais beaucoup de cartes Bâtiments valorisent le fait d’avoir une grosse population, ce qui compense.
Les bâtiments verts (qui arrivent en 3° manche) sont tous très puissants et ne sont pas à négliger. Le chemin de fer est très cher, mais rapporte beaucoup quand il est bien joué.
Sur les bâtiments de base, c’est la banque qui offre le plus de points. Parmi les bâtiments qui arrivent durant les 2 premières manches, la Gallow, le Ranch et le Warehouse sont ceux qui peuvent faire de gros points. Attention cependant, surtout avec Gallow et Ranch, leur utilisation coûte des cow-boys et donc affaiblit votre ville. Et vu le nombre de points que rapportent ces bâtiments, ils seront une cible privilégié des indiens.
Lors d’une attaque d’indiens, n’oubliez qu’ils peuvent attaquer la population de la ville pour faire perdre 4 habitants et 1 attrait (la Church protège de cela).
Lorsque vous menez une stratégie basée sur l’attrait, n’oubliez pas que vous allez perdre des calumets et donc être sensible aux attaques d’indien, même si vous ne lancez jamais le dé vous-même.
Public
Avec des parties de près de 2 heures et un mécanisme central très original et peu intuitif lors de la première partie, Western Town s’adresse très clairement à un public initié, aimant découvrir des mécaniques nouvelles. Le jeu est très particulier et relativement agressif, même si c’est de manière un peu indirecte, et les "gros joueurs" allergiques aux fortes interactions pourraient être un peu rebutés.
Conclusion
Western Town est un jeu qui laisse rarement indifférent : certains le trouveront trop ardu, trop tendu quand d’autres y verront un jeu profond et plutôt original (aussi bien dans ses mécanismes que dans sa façon de traiter l’interaction par exemple). Il fait partie de ces jeux que je ressors encore, une dizaine d’années après sa sortie, ce qui est quand même assez rare. Exploitant très bien son thème, utilisant des mécaniques nouvelles mais efficaces, Western Town est un jeu à découvrir, qui mérite très largement le détour.